Georgia O’Keeffe, farouchement libre
Superbe rétrospective au Centre Pompidou de la peintre Georgia O’Keeffe (1887-1986).
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Publié le 14-09-2021 à 10h06 - Mis à jour le 14-09-2021 à 10h19
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Georgia O'Keeffe, ses fleurs sensuelles aux couleurs acidulées, ses abstractions, ses sublimes paysages de déserts. Figure essentielle du XXe siècle et de la peinture américaine, elle est souvent ramenée à ses seuls tableaux de fleurs agrandies, devenues des posters populaires, avec leur vert pomme et rose pâle, et leur sensualité voilée. On a vu, inspirés par les théories freudiennes, des connotations sexuelles évidentes à leurs étamines et pistils géants. « C'est vous qui voyez ça, pas moi », disait-elle. « Une fleur, c'est petit, alors je vais la peindre en grand et les gens seront si surpris qu'ils prendront le temps de la regarder. »
Plus tard, elle inscrit ce même érotisme dans les paysages du désert qu'elle peignait comme la sensualité d'un corps : "Ces collines ont l'air si douces. La terre tellement bonne. Parfois, j'ai eu envie d'enlever mes vêtements et de m'allonger contre ces collines." Les montagnes qu'elle peint ressemblent parfois à une femme nue allongée, comme L'origine du monde de Courbet.

Au Nouveau Mexique, elle avait découvert les canyons profonds, les sommets boisés, les déserts dramatiques et la lumière intense des déserts.
Vu d'avion
L'exposition au Centre Pompidou replace bien ces séries de fleurs et de déserts dans le parcours très créatif et singulier de Giorgia O'Keeffe, avec, sur la fin, ses peintures vues depuis le ciel, presque des Rothko. Elle voyageait beaucoup en avion et aimait, disait-elle, « s'élever au-dessus du monde où l'on a vécu. Et le regarder en bas s'étirer encore et encore. Le monde si beau et si simplifié, et si clairement découpé, comme le temps et l'histoire simplifieront et rectifieront cette époque qui est la nôtre. »
L'exposition, reflète la personnalité de cette femme qui fut toute sa vie farouchement indépendante. Elle disait en 1945: « Je pense avoir fait quelque chose de plutôt unique en mon temps et que je suis une des seules à donner à notre pays une voix propre -je n'attends pas de reconnaissance- c'est simplement que j'ai vu avec mon propre regard et que je ne pouvais pas m'empêcher de voir avec mon propre regard. »

Elle était née dans le Wisconsin et y vécut ses douze premières années dans la ferme de ses parents, baignée par le jaune des blés et le rythme de la vie rustique. Tôt, elle décide de devenir artiste et, à vingt ans, en 1907 elle poursuit ses cours à New York, y découvrant l’avant-garde européenne exposée par la galerie d’Alfred Stieglitz, sur la Fifth avenue. C’est là qu’elle admire Rodin, Cézanne et Matisse et apprend à lire Kandinsky. Elle deviendra la compagne puis l’épouse du photographe et galeriste Stieglitz.
Nouveau Mexique
Ses premiers travaux, inspirés des écrits de Kandinsky, partent du réel mais sont des compositions abstraites. Quand elle s’installe à New York avec Stieglitz et devient sa muse, sujet de ses photos–nue ou habillée-, elle change encore radicalement et peint de manière très réaliste, la ville, ses gratte-ciel, son port. En 1927, elle a 40 ans, et vit mal que Stieglitz s’intéresse à une autre femme. Elle part alors au Colorado, puis au Nouveau Mexique, qu’elle sillonne avec la femme de Paul Strand et avec le photographe Ansel Adams. Elle y découvre les canyons profonds, les sommets boisés, les déserts dramatiques et la lumière intense des déserts.

Dans les quelque soixante années qu’elle passera là, elle tentera surtout de cerner ces paysages. Seules les formes des os blanchis au soleil apparaissent nets. Ou alors, c’est le contour d’une porte ou d’une maison en adobe. Le reste est une variation de bruns et de blancs, de formes liquéfiées par la lumière, d’aplats ponctués de tâches et de failles.
Elle combine les crânes de bêtes trouvés dans le désert et les paysages qui retrouvent la beauté de certaines estampes japonaises. La lumière se fait vaporeuse et brillante. Georgia O’Keeffe découvre la beauté d’un ciel moutonneux vu d’avion. Parfois un orage menace au lointain. Ses tableaux retrouvent l’abstraction, deviennent méditatifs, jusqu’à sa mort à 99 ans, à Santé Fé, aux portes du désert.
A l’occasion de l’expo, en plus du beau catalogue (42 €), Citadelles & Mazenod publient un superbe ouvrage qui plonge dans le travail de Georgia O’Keeffe et analyse le contexte de ses oeuvres (189 €).
Georgia O'Keeffe, au Centre Pompidou, jusqu'au 6 décembre.