Soutine-de Kooning, la peinture incarnée
Rare et magnifique confrontation des deux peintres au musée de l’Orangerie, entre abstraction et figuration.
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Publié le 21-09-2021 à 08h49 - Mis à jour le 21-09-2021 à 12h25
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La France est peut être en crise mais pas l’art à Paris. Pour cette rentrée, la capitale française regorge de grandes expositions sans parler de l’œuvre de Christo, l’Arc de triomphe empaqueté.
Dans toutes celles-là, ne manquez pas la superbe confrontation entre Soutine et de Kooning au musée de l’Orangerie, montrant l’impact de la peinture de Soutine sur la vision picturale du peintre américain. Une exposition d’autant plus précieuse que ces deux peintres magnifiques sont trop rarement exposés.
On y raconte l’admiration d’un jeune peintre pour un « artiste maudit », on y démontre un jeu d’influences discernable dans leurs tableaux, mais c’est d’abord le plaisir de découvrir une quarantaine de tableaux. L’exposition a bénéficié de prêts importants de la Fondation Barnes à Philadelphie et c’est un miracle de les voir réunis à Paris malgré la pandémie et le confinement.
Willem de Kooning (1904-1997), peintre néerlandais émigré aux États-Unis en 1926, figure emblématique de l’expressionnisme américain d’après-guerre, n’a jamais rencontré Chaïm Soutine (1893-1943), peintre russe émigré à Paris vers 1912 et de dix ans à peine plus âgé que lui.
Mais dès les années 30 et surtout lors d’une grande expo au MoMA en 1950 et après une visite à la Fondation Barnes avec sa femme Elaine, en juin 1952, De Kooning fut subjugué et construit alors, inspiré par Soutine, un expressionnisme singulier, entre figuration et abstraction.
Soutine a en effet marqué la génération des peintres américains d'après-guerre par la force expressive de sa peinture et sa figure d'"artiste maudit", aux prises avec les vicissitudes et les excès de la bohème parisienne.
Son œuvre a été particulièrement visible aux États-Unis entre les années 1930 et 1950, moment où l'artiste figuratif de tradition européenne est relu à l'aune des théories artistiques nouvelles. La peinture gestuelle et l'empâtement prononcé des toiles de Soutine conduisent critiques et commissaires d'exposition à le proclamer "prophète", héraut de l'expressionnisme abstrait américain.


Les Women
Les deux peintres d'apparence très différents font des œuvres qui sont une même ode à la peinture libre, à l’expression, à une peinture incarnée exprimant l’essence des chairs, même sous des apparences abstraites chez de Kooning.
De Kooning a voulu peindre disait-il « comme Ingres et comme Soutine à la fois »: « J'ai toujours été fou de Soutine, de toutes ses peintures. C'est peut-être la luxuriance de la peinture. Il construit une surface qui ressemble à une étoffe, une matière. Il y a une sorte de transfiguration, un certain empâtement des chairs dans son œuvre. » (1977).
On admire d'abord à l'exposition, les Soutine, la plupart appartenant aux collections de l'Orangerie, avec leur force expressive, les déformations des corps, les épaisseurs de peinture. Chez Soutine, on est séduit par cette Femme entrant dans l'eau (1931) relevant sa robe, imitant le même thème choisi par Rembrandt en 1654 ou par Le petit pâtissier (1922-1924), Le Groom, ou encore, la viande au crochet, Le boeuf écorché (1925) rappelant ici aussi l'oeuvre de Rembrandt de 1655.
Se mêlent peu à peu à l'exposition, les tableaux de De Kooning à ceux de Soutine. D'abord des essais, parfois proches de Picasso, des abstractions, et puis, marquée par Soutine et à travers lui Rembrandt, sa série célèbre des grandes « Women ». On devine sous l'énergie des coups de pinceaux, sous l'apparente abstraction, une bouche rouge, des yeux, des corps. Une de ses Women est d'ailleurs intitulée Marylin.
Les femmes chez lui sont traitées comme des paysages. Dans les années 70, De Kooning peint de somptueux paysages élégiaques apparemment abstraits mais inspirés de East Hampton où il vivait alors. On y voit l'eau, la lumière, et même un petit bateau (dans North Atlantic light de 1977).
Pour les deux commissaires de cette expo, en invoquant Soutine, de Kooning défend « un expressionnisme gestuel une peinture incarnée, une mise en présence charnelle. »


>>> Soutine-De Kooning, au musée de l'Orangerie, Paris, jusqu’au 10 janvier