Barthélémy Toguo tous azimuts
Fier et modeste, juste et socialement engagé, le Bamiléké Barthélémy Toguo frappe fort et bien : le voilà sur plusieurs fronts parisiens.
Publié le 24-09-2021 à 17h07 - Mis à jour le 24-09-2021 à 17h17
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Avec Barthélémy Toguo, la bonne surprise est toujours au rendez-vous. Il a la rare conscience de s’investir dans tout projet jusqu’à la garde et sa réflexion sociale est de tous ses combats, plastiques et généreux.
Quand nous l’avons connu, en 1998, à la Biennale de Dakar, il s’y imposait déjà avec d’énormes cachets de bois sur lesquels s’inscrivaient, en creux, ses engagements en latence : "Visa", "Frontière", "Humanité", etc.
Toguo avait mal à sa réalité de migrant, certes privilégié, mais de migrant quand même, complice par nature des millions d’autres qui n’avaient pas sa chance d’être invités en haut lieu.
Depuis, le petit Bamiléké devenu grand, invité partout, a essaimé ses convictions et revendications au travers d’expositions, d’installations, de performances et de vidéos qui n’auront jamais été créées pour rien. Toutes ses actions délivrent, à qui sait y voir, un cri, une souffrance, une volonté d’un monde plus fraternel.
Bleus de la mer, bleus de l’âme
Sa nouvelle exposition chez Lelong&Co porte l'empreinte d'un écrivain égyptien, Edmond Jabès, décédé il y a trente ans. Son Livre du partage s'avérant en phase avec les pensées profondes du peintre camerounais, celui-ci a relayé le poète et conçu, lors de la Biennale internationale de Busan, en Corée, en 2020, une proposition artistique alimentée par sa série de huit peintures, simplement intitulées Partages.
Celles-ci forment aussi l’ossature de la présente exposition de la rue de Téhéran. Elles ne sont pas les seules pièces versées au dossier. Aux peintures bleues sur toile - des bleus de l’âme aux bleus de la mer, de mains en appel d’aide aux mains qui tentent de se joindre, d’un corps voguant en mer incertaine - répond une vaste installation occupant tout le centre de la galerie.

Qu’y voit-on ? Un avion/soulier tracte à tire-d’aile une foule d’objets hétéroclites censés être partagés par une foule de gens, pauvres et démunis, qui n’ont à partager que leur espoir en un monde meilleur.
Lots de livres de la bonne littérature, pâtes alimentaires, bonbons, boîtes de sardines, huile d’olive, valises, poupées, chemises, etc. Ce sont des cadeaux.
La mythologie bamiléké raconte, en effet, que, le soir, des dieux furieux s’en vont dans les villages pour nuire à de braves gens qui, selon les lois du clan, auraient transgressé les valeurs communes. Ils sont chaussés de souliers qui les aident à voler au-dessus des cases et des maisons. Pour illustrer cette histoire - vraie ou fausse, Toguo a imaginé un avion/chaussure qui, cette fois, distribuerait des cadeaux. Des partages d’intentions et d’attention.
Interactive - songez-y - cette installation quémande que vous y laissiez, à votre tour, votre obole !
Gravures aquarellées
Barthélémy Toguo a diversifié son expo. Une série de très belles et fraîches gravures aquarellées, des portraits au pastel et des portraits rehaussés, en leur centre, de cartes postales de l’époque coloniale, complètent un inventaire qui, une fois de plus, fait la part belle à un engagement sociétal.
Toguo est un artiste désormais en vue, parce qu’au geste humaniste, il joint une implication plastique qui, non seulement se reconnaît de loin mais qui, par son originalité créatrice, confie à l’acte de peindre une aura qui en dit long sur ses intentions.
Bon à savoir : les Bamilékés forment un groupe socioculturel qui occupe les hautes terres de l’Ouest du Cameroun. Une chefferie bamiléké est une sorte de micro-État centralisé autour d’un roi puissant jouissant d’un pouvoir de droit semi-divin.
Et c’est dans son village que Toguo a créé Bandjoun Station, un centre d’art et d’agriculture, qu’il ne cesse d’animer de sa présence conviviale. Culture bio et culture de l’esprit s’y rejoignent pour des fêtes du cœur à l’occasion de résidences d’artistes, d’expositions d’art contemporain. Écoute, pardon, hospitalité, partage : avec Barthélémy Toguo, un monde meilleur est convoqué d’urgence.
Partages, sous commissariat de Hafida Jemni Di Folco Art actuel Où Galerie Lelong&Co, 13, rue de Téhéran, 75008 Paris. www.galerie-lelong.com et 01.45.63.13.19 Quand Jusqu'au 23 octobre.

En bref
Toguo au Quai Branly : "Désir d'humanité, les univers de Barthélémy Toguo". Jusqu'au 5 décembre, Christiane Falgayrettes-Leveau, directrice de la Fondation Dapper et commissaire de cette exposition monographique de Barthélémy Toguo, propose une mise en résonance entre des œuvres de Toguo et des pièces d'arts africains anciens : "Un art engagé et sensible qui explore les dysfonctionnements du monde actuel pour mieux les dénoncer en puisant, entre autres, dans les références culturelles du continent africain." Une exposition installée au cœur des collections et de la galerie Marc Ladret de Lacharrière. R.P.T.
37, Quai Branly, 75007 Paris. www.quaibranly.fr Jusqu’au 5 décembre, du mardi au dimanche, de 10h30 à 19h.
Toguo au Musée Rodin : rare privilège et marque d’estime des responsables d’un musée où l’art classique, mais déjà très moderne, d’Auguste Rodin innove tout à coup et à bon escient, comme nous avons pu en juger… Barthélémy Toguo y a été invité à auréoler les quatre dessus-de-porte ouvragées d’une des salles du rez-de-chaussée du prestigieux musée, de peintures d’un beau rouge flamboyant. Et c’est remarquable !
Musée Rodin, 77, rue de Varenne, 75007 Paris. Installation pérenne. www.musee-rodin.fr et 01.44.18.61.10 Du mardi au dimanche, de 10 à 18h30.