Ernest Pignon-Ernest, de retour d’Haïti
En route perpétuelle sur les chemins du monde en lesquels souffrent des poètes, des humanistes, Pignon-Ernest est allé à Haïti…
Publié le 24-09-2021 à 17h15 - Mis à jour le 24-09-2021 à 17h17
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C’est bien dans l’autre lieu de la Galerie Lelong&Co, au 38 de la luxueuse avenue Matignon, qu’Ernest Pignon-Ernest expose le travail, réalisé à Haïti, un peu avant les nouveaux événements tragiques qui ont frappé l’île maudite.
C’est à l’initiative de Michel Le Bri et du festival Étonnants Voyageurs qu’Ernest Pignon-Ernest a mis le cap sur l’île des Caraïbes et sa capitale Port-au-Prince.
Chaperonné par Pascale Monnin et James Noël, Ernest a parcouru la ville, constaté les séquelles de l’effroyable tremblement de terre dévastateur de 2010, visité sa cathédrale toujours en ruine, retenu la vitalité de création qui y règne autant que son syncrétisme religieux.
La lecture des ouvrages de Lyonel Trouillot et leurs affinités complices, puis la découverte du poète Jacques Stephen Alexis (1922-1961), la réalité conjuguée à la poésie de l’île et la vérité émanée des textes d’Alexis, ont fait le reste, poussé notre colleur d’histoires dans les lieux mêmes de leur vérité à tenter sa démarche caractéristique en Haïti.
Jacques Stephen Alexis
Ernest reconnaît combien les écrits de Jacques Stephen Alexis lui ont fait comprendre la similitude entre les aspirations des Haïtiens et celles des Napolitains et, par conséquent, l’ont enjoint à symboliser, cartes sur table, la personnalité du poète assassiné Alexis dans la foulée de ses attachements envers Darwich, Neruda ou Pasolini.
Un texte d’Alexis a ému Ernest : "Avant tout et par-dessus tout fils de l’Afrique, je suis néanmoins héritier de la Caraïbe et de l’Indien américain à cause d’un secret cheminement du sang et de la longue survie des cultures après leur mort… Je suis dans une bonne mesure héritier de la vieille Europe, de l’Espagne et de la France surtout… J’ai choisi sans équivoque les familles humaines qui m’apparaissent comme les plus proches de moi, la famille nègre et la famille latino-américaine…"
Rappel : les Espagnols ont trahi et pendu, en 1503, la princesse taïno Anacoana, la Fleur d’or ; les colons français ont livré au bûcher Makandal en 1758 et, en 1791, exposé la tête tranchée de Dutty Boukman… Cette tragique Histoire d’Haïti perdura et perdure.
C’est en souvenir de ces abominations qu’Ernest Pignon-Ernest a conçu ses dessins, collé sur les murs de Port-au-Prince, de la cathédrale détruite aux murs du cimetière, ses sérigraphies et, ensuite, pris en photographie ses collages… Le fruit d’une exposition qui fait trembler les murs de la galerie.
La charge émotionnelle est patente, les dessins d’Ernest sont de circonstance, on pourrait dire plus que jamais, donnent à voir, sous l’image, une réalité qui a la dent dure, celle d’hommes et de femmes invariablement soumis aux pouvoirs discrétionnaires.
Références au serpent présent dans tous les contes et images d’Haïti et, suprême élégance dans l’abominable, ce dessin et cette sérigraphie collée sur le mur du cimetière : clouée sur la croix, on n’y voit qu’une main qui pendouille dans le vide. Une manière d’humaniser le crucifié.
"Moi, je rêve encore de maisons aux portes ouvertes", écrit Trouillot, alors que le crime sévit partout. D’où sur le portrait d’Alexis, la chemise rouge de sang du syndicaliste Paco Torres, collée par Pignon-Ernest.
À relever aussi, parmi de superbes photos de ses collages à travers la ville, une grande étude, au pastel rouge et jaune/orangé, d’Anacona nue. Une merveille !
Portraits d’Alexis et d’Anacona et, nouveauté franche et magique, le pastel de coquelicots sur une porte close. Le poète Ernest Pignon-Ernest, ci-devant artiste visuel, a, une nouvelle fois, frappé à bon escient.
Ernest Pignon-Ernest - Haïti, le secret cheminement du sang Art actuel Où Galerie Lelong&Co, 38, avenue Matignon, 75008 Paris. www.galerie-lelong.com et 01.71.72.26.99 Quand Jusqu'au 23 octobre.
