La triste et véritable histoire des "zoos humains"
L’Africa Museum rappelle ce temps où on raffolait de ces expositions qui construisaient des stéréotypes racistes.
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- Publié le 09-11-2021 à 11h30
- Mis à jour le 09-11-2021 à 11h57
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Il y a juste 125 ans, Léopold II avait insisté pour qu’à l’exposition universelle de Bruxelles en 1897, il y eut un volet sur « sa » colonie, alors personnelle: l’Etat indépendant du Congo. Trois villages furent reconstitués dans le parc de Tervuren avec 296 Congolais amenés en Belgique pour l’occasion. Sept d’entre eux y moururent de pneumonie et furent enterrés dans une fosse commune avec les prostituées. Ce n’est qu’ensuite, en 1930, qu’on a construit sept cénotaphes (vides) au cimetière de Tervuren en leur honneur.
Léopold II voulait ainsi « vendre » sa colonie au public belge et aux investisseurs. Et ce fut un triomphe avec un million de visiteurs, ce qui l’amena dans la foulée à construire le musée colonial de Tervuren.

Guido Gryseels, l'actuel directeur de l'Africa Museum veut « regarder ce passé dans les yeux » et reconnaît la responsabilité du musée « dans la construction de stéréotypes racistes » qui demeurent toujours dans l'opinion européenne.

L'importante exposition qui s'ouvre a été dirigée par l'historien français Pascal Blanchard et son groupe de recherches Achac, à la base du terme « zoo humain ». L'exposition est en partie, une reprise de celles vues à Liège et à Paris (« Zoo humain, l'invention du sauvage »), mais ici repensée avec les co-commissaires Maarten Couttenier et Mathieu Zana Etambala, en fonction de la Belgique.
On y rappelle que d’autres « zoos humains » y furent organisés. A Anvers d’abord aux expositions universelles de 1885 et 1894 où sept Congolais moururent également. On avait amené à Anvers 144 Congolais et les avait installés dans onze huttes et même une grotte, car on les imaginait vivre comme nos lointains ancêtres. On rapporte que de nombreux visiteurs leur lancèrent de la nourriture.
![Août 1885 – Groupe [de Congolais] sur le vapeur Afri[k]aan de la maison hollandaise. Rapatriement de Massala et quelques boys. Belgium. 1885 (August). Photograph by Adolphe Henri Albert de Macar. Coll. RMCA, AP.0.0.16788](/resizer/x-Moiomy0TRzPNG9g4N8SVd5WM0=/arc-photo-ipmgroup/eu-central-1-prod/public/S5VKD3X55FFF3BW6V4SEHXNP7I.png)
Phénomène européen
Le premier mérite de cette exposition est de bien montrer que ces « zoos » où on exposait des « sauvages » comme on disait alors, étaient nullement une spécificité belge mais un phénomène mondial, de l’Europe aux Etats-Unis et même au Japon. Tout un mur à l’entrée dresse une liste de plus de cent expositions coloniales de ce genre qui attirèrent au total 1,5 milliard de visiteurs ! On y exposait bien d’autres peuples: des Aborigènes d’Australie, des Samoens, de Saami, etc. Et même, rappelle Pascal Blanchard, des Bretons !
L’exposition souligne bien que c’était un temps, à la fin du XIXe et début du XXe siècle, où on voyageait très peu, le cinéma n’existait pas, ni Internet ni la télé. Et voir les spectacles de ces populations était très apprécié. Ils étaient souvent organisés par des imprésarios qui recrutaient des indigènes dans les pays (… ou parfois des figurants dans les banlieues de nos villes, qu’on déguisait en « sauvages »)`.

Les gens voulaient se divertir, s’étonner devant l’Autre, devant la différence. Mais celle-ci était soigneusement mise en scène. Les exhibés étaient sommés de faire semblant de travailler ou de danser. Ces expos ont concerné près de 35000 « figurants » à travers le monde. Des affiches attiraient le chaland (on payait l’entrée) où se retrouvaient des dessins accrocheurs et parfois le mot « sauvage ».
L’Allemand Hagenbeck et l’Américain Barnum furent les plus grands organisateurs privés de ces « shows ».
On rappelle le début de ces shows avec le cas dramatique de la Vénus Hottentote, Saartjie Baartman, exhibée et étudiée en Europe pour ses fesses énormes et dont le corps n'a été rapatrié en Afrique du Sud qu'en 2002.
En 2021 encore, ce genre de zoos humains n’a hélas pas totalement disparu quand des voyages touristiques prévoient des visites à des spectacles vivants préfabriqués de populations Masaï, Omo, ou de femmes girafes en Birmanie.
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Même si d’emblée des voix minoritaires se sont élevées contre ces « zoos », ceux-ci ont été à la mode jusque dans les années 30. Pour les pays colonisateurs, ils avaient un triple but: vendre aux investisseurs la colonie et son projet « émancipateur », produire un spectacle vivant populaire et amener enfin, en Europe, des individus que les scientifiques pouvaient étudier.
L’exposition montre comment ces populations ont servi à créer et à consolider des stéréotypes raciaux basés sur un classement des races, depuis les plus « nobles » (les hommes blancs) jusqu’aux plus basses. On étudiait et mesurait les corps pour tenter de trouver une base scientifique à ce classement. Le sculpteur Arsène Matton était envoyé en 1911 au Congo pour réaliser des moulages en plâtre sur des Congolais vivants, même si beaucoup d’entre eux fuyaient de crainte d’étouffer durant la pose du moulage.
En étudiant la diversité des peuples, les « savants » mettaient l’accent sur les différences et minimisaient les similitudes.
En Belgique, Victor Jacques effectua des centaines de mesures sur les Congolais exposés à Anvers et Tervuren, mais n’arriva jamais à déterminer des « races ».
Avec plus de 500 documents (photos, affiches, films, etc.), l'expo explique remarquablement ce phénomène qui ne diminua vraiment qu'après 1918. En 1912 déjà, on lisait dans La grande revue : « Tous ces spectateurs ont un hautain sentiment de la supériorité blanche. Tous ces gens qui, la semaine, ont peiné à des tâches misérables et sur qui la civilisation n'a passé que comme un dressage, ont des instincts de marchands d'esclaves. »
La fin des « zoos humains » approchait. Nos pays avaient bien vu l’aide que ces peuples africains colonisés nous avaient apporté en 14-18 et surtout, le cinéma s’imposait désormais pour offrir au public un exotisme plus puissant où la « sauvagerie » pouvait mieux être mise en scène.
Même s'il fut bien différent, l'expo 58 à Bruxelles accueillit le dernier « zoo humain » avec le « village congolais ». Symboliquement, il s'est vidé de ses figurants avant la fin de l'expo.
Sur un mur, à l’Africa Museum, ont été écrits ces agressions verbales du quotidien qui demeurent encore à l’égard des Afro-descendants et qu’on peut analyser comme le produit persistant de ces stéréotypes construits pendant des décennies.
Deux artistes africains d’aujourd’hui apportent leur regard: le Béninois Romeo Mivekannnin et le Burundais Teddy Mazina qui a imaginé toute une fiction où ce sont des Congolais qui prennent les mesures anthropométriques du corps des Blancs.
L’expo s’ouvre à un moment charnière, quand le secrétaire d’Etat Thomas Dermine (PS) va se rendre au Congo pour préparer la restitution des biens culturels spoliés et alors que la commission parlementaire spéciale vient de recevoir le gros rapport des experts sur notre passé colonial.
Zoo humain, au temps des exhibitions coloniales, jusqu'au 6 mars, à l’Africa museum à Tervuren