Sol LeWitt, toute la beauté et l’émotion du conceptuel
Le musée juif de Belgique montre des superbes Wall Drawings de Sol LeWitt. Il développe aussi le projet peu connu de synagogue construite par l’artiste et ses liens nombreux avec notre pays
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Publié le 02-12-2021 à 15h52 - Mis à jour le 02-12-2021 à 15h54
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L'exposition consacrée à Sol LeWitt (1928-2007) et ses Wall Drawings au musée juif de Belgique à Bruxelles, est un enchantement, comme le furent il y a près de dix ans déjà, les expositions semblables, et plus vastes, aux musée M de Louvain et au Centre Pompidou à Metz.
Ces dessins muraux imaginés entre 1968 et 2007 sont le fruit d’une aventure artistique et intellectuelle hors du commun et sont désormais devenus des icônes de l’art contemporain.
Chaque recréation de ces Murs peints est un défi et une aventure collaborative de longue haleine. Pour les quatre Wall Drawings refaits au musée juif, il a fallu organiser une équipe de 12 étudiants en art d'écoles bruxelloises (La Cambre, l'Aca et Luca), supervisés par deux envoyés spéciaux de la Fondation LeWitt, et qui ont travaillé pendant 23 jours.
On a dû d’abord refaire les murs, les enduire d’une fine couche de plâtre, les poncer, les essuyer, pour enlever tout résidu et poussière, ajouter deux couches de primaires suivies de trois couches de peinture blanche appliquée au rouleau, puis poncer à nouveau pour rendre la surface parfaite.
Il s’est agi ensuite de dessiner ou de peindre, parfois en tamponnant des éponges pleines de couleurs, en suivant les protocoles précis indiqués par Sol LeWitt Les petites imperfections qui demeurent donnent un côté humain. Jamais l’œuvre ne doit donner l’impression d’être faite à la machine.
Art minimal et conceptuel, donc ? Le réduire à cela, ce serait oublier le plaisir engendré par ces visions paradoxalement sensuelles et d’une beauté certaine. On se surprend à scruter de tout près les infimes lignes au crayon, ou les nuances dans les gris, ou les combinaisons de lignes et de couleurs, les différences de surface (lisse ou granuleuse). Et on admire qu’un processus purement intellectuel, mathématique, sans jamais de volonté de faire du beau ou du décoratif, puisse produire néanmoins toutes ces émotions.

Une partition
A 40 ans, en 1968, via d'abord un article dans Artforum, Sol LeWitt rompait avec l'Art minimal et encore davantage avec l'expressionnisme abstrait alors tout puissant, en qualifiant son travail de "conceptuel". Il rédigeait un manifeste Sentences of Conceptual Art qu'avait acheté le collectionneur belge Herman Daled et aujourd'hui au MoMA (on en montre un fac-similé).
Sol LeWitt allait réaliser des œuvres qui se réduisaient de plus en plus à des modèles, voire à de simples textes indiquant les opérations à effectuer pour la réalisation, des fresques à composer par la répétition d’un motif géométrique en noir et blanc ou en couleurs primaires.
L'idée et le concept, les processus mentaux (thought processes) priment alors sur l'oeuvre d'art et sa réalisation. L'artiste conçoit l'œuvre sous forme d'une suite d'instructions, comme une partition, où ses notes sont les lignes droites ou non droites, la ligne brisée, le carré, la grille, l'arc, etc., des notes dont il joue en faisant varier l'outil (crayon à mine, pastel gras, lavis d'encre, acrylique, etc.) et les combinaisons possibles. Ces instructions sont alors confiées à des dessinateurs qui exécutent l'œuvre sur un mur, le temps d'une expo, à la manière de musiciens interprétant une partition, et la détruisent ensuite. Chaque cartel donne le numéro de l'œuvre, la date de création et les noms des premiers exécutants (ils font partie de l'œuvre).
Sol LeWitt va ainsi réaliser des œuvres détachées de toute idée de talent de l’artiste, de dextérité ou de subjectivité. Il voulait aussi prendre ses distances avec la matérialité de la peinture, du "cadre", de l’objet qu’on conserve.

La place du hasard
Sol LeWitt a formalisé selon des processus oulipiens (des contraintes posées au départ) 1350 dessins mais tous n’ont pas été réalisés.
A l'exposition, on a refait d'abord le grand Wall Drawing n°368 de 1982 avec un ensemble de bandes noires et blanches, un autre des trois couleurs fondamentales (rouge, bleu, jaune), selon une géométrie très précise. On peut y voir autant de l'Op Art (art optique) que des références aux couleurs de Matisse.
Le Wall Drawing n°138 de 1974 est le plus ancien de ceux refaits au musée. Un dessin au crayon couvrant un mur, tout en délicatesse, un dessin à peine visible avec une combinaison possible de 59 arcs, cercles et grilles. C'est à Bruxelles, qu'il avait été réalisé la première fois à la galerie MTL de Fernand Spillemaeckers. Parmi ceux qui avaient dessiné ce mur, on retrouvait l'artiste belge Lili Dujourie.
Au fil du temps les Wall Drawings sont devenus de plus en plus compliqués. Le Wall Drawing n°528G de 1987, refait à l'étage, est la figure isométrique d'un cube aux trois couleurs fondamentales et inscrit dans un cercle. Sol LeWitt qualifiait le cube de « relativement inintéressant et donc incroyablement polyvalent ».
Le Wall Drawing n°780 de 1995 pour la Biennale de Sao Paulo au Brésil, complexifie encore les choses avec des lignes de fuite en étoiles superposés de tailles croissantes de différents couleurs, en lavis d'encre.
On aurait tendance à oublier que Sol LeWitt fut aussi un peintre et un sculpteur cherchant sans cesse d'autres voies. L'exposition au musée juif montre ses dessins et de grandes et belles gouaches où, cette fois, il laissait la liberté à sa main et une place au hasard, avec un plaisir manifeste. On y montre aussi ses structures, des sculptures faites à partir du cube, comme les 124 manières de montrer dans l'espace un cube « incomplet ».

Proche des Belges
L'exposition a deux particularités qui la différencie des expos précédentes. Elle met d'abord en avant les rapports étroits qu'entretenait Sol LeWitt avec des galeristes, artistes, architectes et collectionneurs belges. On a déjà cité le rôle pionnier de la galerie MTL où Fernand Spillemaekers montrait un Wall Drawing quatre ans à peine après le premier à la galerie Paula Cooper à New York.
Un film montre ces nombreux liens épistolaires entre Sol LeWitt et la Belgique. Une figure clé fut l’architecte liégeois Charles Vandenhove (1927-2019) qui lui demanda de réaliser les lambris du CHU de Liège. Une belle salle de l’exposition rappelle et montre ce projet: une série de figures isométriques basées sur le cube et une autre sur l’étoile qui ont été sérigraphiés sur tôle et ensuite vitrifiés à 800 °C pour former les lambris émaillés qu’on peut encore admirer. A travers des dessins et correspondance, on rappelle comment Vandenhove l’invita aussi à dessiner le sol du vestibule de la Monnaie à la demande de Gérard Mortier, avec un double éventail de marbre noir et blanc.
Le second angle original est le projet méconnu de synagogue qu'il a construite à Chester (Connecticut) pour la congrégation Beth Shalom Rodfe Zedek. Solomon (son prénom complet) LeWitt était fils d'émigrants juifs venus de Russie. Sa femme Carol LeWitt le décrit comme « un non-croyant très observant » ! Elaborée entre 1996 et 2001, sa synagogue fut son seul projet architectural. Il s'est inspiré pour cela d'anciennes synagogues en bois de Pologne souvent brûlées par les Nazis ou dans des pogroms plus anciens. Il voyagea en Europe pour en retrouver des traces. A l'intérieur du bâtiment, il réalisa une fresque avec une étoile de David colorée à six branches, peinte sur l'arche -le lieu le plus sacré- où se dépose la Torah. Même non-croyant, Sol LeWitt était habité par un absolu de l'art comme en témoigne toute son oeuvre.

>>> Sol LeWitt, au musée juif de Belgique, rue des minimes 21, Bruxelles, jusqu’au 1er mai
Les trésors de Galila
On peut aussi visiter au musée, une seconde -plus petite- exposition (jusqu'au 13 février) consacrée aux oeuvres sur papier de la collection de Galila Barzilaï-Hollander. Nous avons déjà présenté cette riche voire énorme collection (regroupant 1800 artistes !) accumulée en une quinzaine d'années seulement. Collection généreuse, volontairement hétéroclite, avec des grands noms côtoyant des inconnus, collection qui est son autoportrait. Elle prête régulèrent des œuvres à des musées « par respect pour les artistes ». On sera ici séduit, ou amusé, parfois stupéfait, par tout ce qui peut se faire à partir de papier.
Anish Kapoor y est avec un atlas mondial dont il a découpé le Moyen-Orient avec une incision rouge sang. D’autre oeuvres, pleines de poésie et de fragilité, témoignent d’un geste patient et méditatif. Avec aussi des oeuvres de Haegue Yang, Jérôme Zonder, Kensure Koike et beaucoup d’autres.