Les réalisations de Jeanine Cohen nous font quitter le sol. Notre expo-révélation !
Publié le 07-12-2021 à 12h12 - Mis à jour le 27-12-2021 à 15h25
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Terriblement exigeant, notre métier réserve aussi, et heureusement, ses petits moments de grâce. Des instants hors du temps qui ont quelque chose de planant… Dernièrement, nous nous sommes invitée chez Min Young Lee et Gil Bauwens. Nous l’avions déjà évoqué : le couple a installé sa galerie dans leur habitation privée. Un magnifique loft à Forest. L’endroit est aussi délicieux que l’accueil des propriétaires, toujours d’une grande générosité quand il s’agit de partager leur passion pour l’art et les artistes qu’ils défendent. Cette fois, exception à la règle de cette enseigne qui défend préférentiellement des artistes issus de la scène artistique coréenne, c’est une artiste belge qui habille les murs : Jeanine Cohen (Bruxelles, 1951). Notre première rencontre datait de son exposition à l’Atelier34zéro en août 2020. Nous avions aimé tant l’accrochage que le personnage, femme de tempérament, sans vraiment plus d’affinités. Une expérience qui a très largement renforcé notre surprise ! Victime d’un gros coup de cœur non prémédité, nous avions - fort heureusement une fois n’est pas coutume - envie de tout acheter… Voilà bien l’un des plus grands risques du métier.
Cet accrochage panoramique retraçant plus de trente années de création nous présente une artiste qui échappe aux définitions. Formée à la sérigraphie et au design industriel, Jeanine Cohen a abordé la peinture en autodidacte avant de poursuivre en multipliant les propositions esthétiques. Sous l’impulsion de Yolande De Bontridder, commissaire de l’exposition, Jeanine Cohen a ressorti des pièces anciennes (début des années 90). Celles-ci dialoguent avec des réalisations actuelles que nous observons comme un travail du geste qui se radicalise. Les premiers développements annoncent assez logiquement tout son cheminement. Le parcours présente très tôt une autre pièce phare intégrant des notions qu’elle ne cessera d’explorer : la couleur, le reflet, l’espace, les rapports entre les vides et les pleins. L’artiste envisage le mur blanc comme faisant partie intégrante de son œuvre. Support de son langage, celui-ci reflète des segments obliques qui apportent à l’œuvre un caractère tridimensionnel tout à fait singulier. L’artiste emploie depuis de très nombreuses années une peinture fluorescente aux propriétés réfléchissantes. Dans ses premières expériences, Jeanine Cohen laissait sa "recette" apparente, peignant les tranches de ses lattes de bois qui irradiaient les abords de l’œuvre. Mais le procédé a évolué. À présent, la couleur placée au revers se soustrait de notre champ de vision, ménageant un effet de surprise qui interroge notre perception. Aussi, la réflexion est contenue à l’intérieur de l’œuvre. Autant de reflets subtils qui évoluent continuellement en fonction de l’intensité de la lumière, qu’elle soit naturelle ou artificielle.
Œuvre sérielle d’une grande cohérence
Chercheuse infatigable, Jeanine Cohen ne cesse de construire une œuvre sérielle d’une grande cohérence, ne se fixant jamais sur un modus operandi strictement établi. L’artiste fait bouger les lignes. Elle joue, elle chipote. On l’imagine dans son atelier, espace inondé de petites recherches, telle Géo Trouvetou bricolant ses petits bouts de bois, de plaques, testant des assemblages de couleurs avec un peu plus de ci, un peu moins de ça…
Une autre série de l’accrochage range les obliques et les ingrédients fluorescents. L’artiste imagine de jolies variations sur l’horizontale et la verticale, quelquefois soulignées d’une baguette noire. Un travail plus géométrique, plus architectural. Si la peinture réfléchissante s’est absentée, il n’en reste pas moins important d’observer que des ombres portées subsistent sur le mur qui est encore et toujours directement impliqué. Dans cette série, l’artiste soigne particulièrement le choix de sa palette chromatique. Toutes les couleurs, précisément développées, interagissent merveilleusement ensemble. Pas de hasard. L’artiste les a imaginées comme une gamme permettant à chaque teinte d’entrer en dialogue avec les autres. La recherche de ces tonalités obtenues par la superposition de couches de pigments est un aspect central dans son travail. Autant de couleurs et d’associations originales qui lui sont également inspirées de ses voyages. Elle en capture des fragments au sein desquels les couleurs se répondent en toute liberté.
Un travail très minimal, assurément raffiné, traversé par le sentiment d’une mise en suspension. Et si le fil conducteur était tout simplement cette douce apesanteur ?

Il faut se déplacer !
En art (comme dans bien d’autres domaines), il y a les sujets particulièrement photogéniques et il y a les autres. Combien de fois n’avons-nous pas été étonnée en découvrant une œuvre, en vrai ? Certains tableaux en profitent avantageusement, d’autres en souffrent. En toute logique, nous préférons toujours être agréablement surprise. En cette matière, le travail de Jeanine Cohen fait figure de cas d’école. Rarement, les œuvres photographiées ont été aussi éloignées de celles présentées. Attention, aucune volonté de nous tromper ! Ce profond fossé entre photographie et réalité tient dans la nature intrinsèque du procédé technique qui touche clairement les limites de la reproduction tout en rappelant l’infinie complexité de la vision. L’artiste travaille la lumière, le reflet, le volume et toutes leurs interactions subtiles dans l’espace… Alors imaginez : une photographie frontale de son travail, en deux dimensions, supprime d’emblée une bonne partie de sa substance, et par ricochet de son intérêt. Aussi, comment capturer un reflet qui se diffuse aussi discrètement ? Nous en avons régulièrement fait l’expérience… Vous observez un magnifique rayon de soleil qui larde les nuages. Vous dégainez votre téléphone et son appareil photo pour immortaliser cet instant… Et là, sur votre écran, c’est la déception. L’image figée est désespérément éloignée de la réalité. Raison pour laquelle nous vous recommandons chaleureusement de vous déplacer… Aller sur place. Expérimentez son travail qui appelle aussi le mouvement. Changez de point de vue pour en comprendre toute la complexité, mais aussi toute la subtilité. Et même, il serait intéressant d’y revenir à d’autres moments de la journée afin d’observer comment la lumière les fait évoluer… mais ça, c’est peut-être un petit peu trop demander.
Jeanine Cohen. A Meeting on a Wall Art contemporain Où Lee-Bauwens Gallery, 36 rue du Charme, 1190 Forest www.artloft.eu Quand Jusqu'au 19 décembre, du jeudi au samedi de 14h à 18h et srdv.
