Kasia Redzisz, directrice artistique de Kanal-Centre Pompidou: "Le terreau culturel bruxellois est essentiel"
La nouvelle directrice artistique de Kanal-Centre Pompidou a exposé mercredi son projet. Elle a insisté sur l’ancrage de Kanal dans le terreau bruxellois, multiculturel et riche d’acteurs culturels.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/dbef88af-a777-4e76-9966-40b1fd6e9729.png)
- Publié le 02-02-2022 à 19h00
- Mis à jour le 02-02-2022 à 19h02
:focal(1275x856.5:1285x846.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/PYTCVDTF65ESPPU4RPWMLAEFQ4.jpg)
Une importante page s’est ouverte ce mercredi pour le grand projet Kanal-Centre Pompidou à Bruxelles. Pour la première fois, la première directrice artistique du projet, Kasia Redzisz, s’est exprimée publiquement, et devant la presse, entourée d’Yves Goldstein, le directeur de la Fondation Kanal et de Xavier Rey, le nouveau directeur du musée d’Art moderne au Centre Pompidou.
Un moment très attendu, car, depuis juin, quand elle fut nommée, ce fut le silence sauf pour montrer que les lourds travaux pour transformer l’ancien garage Citroën suivaient bien leur cours et n’accusaient aucun retard.
Kasia Redzisz est arrivée début décembre à Kanal et a pris le temps nécessaire pour partir d’un bon pied. Car sa nomination décidée en juin avait créé, bien malgré elle, un grand remous.
Rappelons qu’un jury international choisi par la Fondation Kanal l’avait désignée sans ambiguïté comme première directrice artistique, la préférant à Bernard Blistène qui venait de quitter la direction du musée d’Art moderne au Pompidou et ambitionnait d’en devenir directeur artistique, fort du travail effectué auprès d’Yves Goldstein pour lancer Kanal.
Le tollé se propagea jusqu'à l'international quand un communiqué confus du Conseil d'administration laissait entendre qu'un duo serait mis en place avec Blistène "synthèse parfaite pour Kanal", dixit.
On y a vu de possibles manœuvres obscures, un manque d’indépendance de Kanal, etc. Une pétition très dure fit le tour des milieux artistiques belges et français. Le CA fit marche arrière et précisa que Kasia Redzisz serait bien la seule directrice artistique sans préciser le rôle futur de Bernard Blistène qui, ulcéré par ce procès à son égard, jetait alors l’éponge.
Au Centre Pompidou aussi, les choses bougeaient avec le départ du duo Serge Lasvignes, président, et Bernard Blistène qui avaient jusque-là porté Kanal. Ils étaient remplacés par Laurent Le Bon (président) et Xavier Rey.
Rassurer
Mercredi, c’était le ciel bleu sur Kanal, l’unanimité autour de Kasia Redzisz et de son projet avec des mots revenant sans cesse comme : transparence, ouverture aux différents publics, lieu de réflexion sur les enjeux sociétaux bruxellois, belges et internationaux. Avec le Centre Pompidou, on parle de dialogue équilibré et de réflexions parallèles, car le Pompidou sera lui aussi en pleine rénovation et réflexion, fermant ses portes pour travaux de 2024 à 2028, soit juste après l’ouverture de Kanal !
Tandis que Xavier Rey et Yves Goldstein louaient ses qualités, Kasia Redzisz a voulu rassurer en répondant aux craintes d'un projet qui serait déconnecté du tissu artistique bruxellois et qui serait téléguidé par le Pompidou. Elle a rencontré le conseil d'administration, lui expliquant sa démarche qui vise entre autres à organiser des projets avec les acteurs bruxellois. Tous les problèmes liés à sa direction sont éliminés, dit-on : "Elle est bien seule maître à bord pour le domaine artistique en collaboration avec tous les autres services de Kanal", confirme un administrateur.
Si un rapide coup de sonde montre qu’elle n’a pas encore rencontré les acteurs principaux du tissu culturel bruxellois, et que le Comité d’accompagnement ne s’est plus réuni, son passé plaide pour elle, dit-on, entre autres pour avoir travaillé longtemps à la Tate, un "cluster muséal" au moins aussi expansionniste que le Pompidou.
Notons que si elle participera bien sûr à la politique d’achats d’œuvres pour la collection de Kanal, elle ne sera pas seule à la manœuvre dans ce cadre. Le 10 mars, Kanal révélera d’ailleurs la quarantaine d’œuvres déjà acquises.
Sa note
Mercredi, elle a expliqué : "Bruxelles est le foyer de citoyens multiculturels, d'un nombre croissant d'artistes aux divers horizons et d'autant d'organisations culturelles. Ils seront indispensables pour l'avenir de Kanal , un mus ée qui sera é quip é pour représenter et accueillir ces communautés tout en répondant à un monde en constante évolution, pertinent pour les débats mondiaux, mais engagé dans sa localité. La vision que je développe est celle d'un musée dynamique, réactif et interdisciplinaire, un espace d'expérimentation qui brise les paradigmes."
Dans sa note d'intention, elle explique : "Kanal -Centre Pompidou é merge à un moment où les changements s'accélèrent dans le monde et dans le secteur culturel. Au lendemain de la pandémie et dans le sillage des récents é v énements sociopolitiques en Europe et dans le monde, les musées se sont engagés dans une mission visant à repenser leur rôle au sein de la société ainsi que leurs modèles économiques et leurs modes de fonctionnement. Mettant brutalement en lumière les inégalités sociales, la crise actuelle a mis les institutions au défi de renforcer leurs relations avec les publics. Le ralentissement du rythme de l'industrie artistique mondiale a accru la pression sur le secteur pour qu'il réponde de manière constructive à l'urgence climatique."
"Kanal peut être à l'avant-garde du changement, li b é r é du poids des conventions fa ç onnées au cours du siècle dernier, ouvrant un nouveau chapitre et un nouvel espace pour une expérimentation qui bouleverse les paradigmes. En ce moment charnière, je considère l'égalité, l'innovation et la durabilité comme des valeurs qui devraient déterminer la relation avec le public, la programmation et la façon dont elle est pré sent ée. Bruxelles est le foyer de citoyens de multiples nations, d'un nombre croissant d'artistes d'origines diverses et d'un grand nombre d'organisations culturelles. Ceux-ci seront fondamentaux pour l'avenir de Kanal."

Expérimentale et interdisciplinaire
Kasia Redzisz aura 40 ans ce 4 février. D'origine polonaise, diplômée en Histoire de l'art de l'Université de Varsovie, elle arrive à Kanal après six années à la Tate Liverpool, où elle occupait le poste de Senior Curator depuis 2015. Elle y était responsable du programme d'expositions et de présentation des collections du musée ainsi que des collaborations internationales. Kasia Redzisz y a organisé plusieurs expositions saluées par la critique, notamment celle actuellement à l'affiche de la Bruxelloise Lucy McKenzie qui est également exposée à la Verrière, à Bruxelles. Mais elle organisa aussi des expos de Theaster Gates, Maria Lassnig, Edward Krasinski. De nouvelles commandes auprès d'artistes tels que Judy Chicago, Ugo Rondinone ou Sol Calero ont également été réalisées sous sa direction. De 2010 à 2015, elle était commissaire d'exposition à la Tate Modern où elle avait, entre autres, curaté les expos de Sigmar Polke, Alighiero Boetti et Mira Schendel. Entre 2008 et 2015, elle fonda et dirige Open Art Projects, une association Polonaise à but non lucratif dédiée aux commandes d'art innovantes. Entre 2011 et 2018, elle dirigea le projet Otwock, explorant la relation entre art et localité. Son travail indépendant comprend l'exposition inaugurale du Muzeum Susch en Suisse (2019) ou encore la 4e édition de la Biennale Art Encounters à Timisoara (2021).
En juin dernier, elle incarnait pour une majorité des membres du jury, l’avenir et l’ouverture à Kanal. Elle est réputée pour défendre une approche expérimentale et interdisciplinaire orientée vers de nouveaux formats et de nouveaux publics.
Chris Dercon : "Kasia est formidable"
Chris Dercon, Belge, président de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais à Paris, a bien connu Kasia Redzisz quand il était le directeur de la Tate Modern à Londres et qu'elle y était aussi, pendant cinq ans, comme commissaire d'exposition. "Elle est formidable, nous dit-il. J'ai adoré travailler avec elle. À la Tate, elle était très respectée par les divers seniors curators. Sa connaissance des artistes d'Europe de l'Est nous a aidés dans l'achat de nos œuvres. Spécialiste aussi des arts-médias et de la performance, elle est proche des jeunes artistes et a noué de bonnes relations avec des centres d'art comme le musée M de Louvain, le Fresnoy au nord de la France et le centre d'art d'Eindhoven. Elle a œuvré à l'ouverture du Muzeum Susch en Suisse , dans l'Engadine, un des musées privés les plus excitants en Europe. Elle travaille beaucoup l'interdisciplinaire et je viens de la mettre en contact avec Anne Teresa De Keersmaeker."
Chris Dercon poursuit en se disant "très content pour Bruxelles. Elle aura l'autonomie nécessaire, Laurent Le Bon, le nouveau président du Centre Pompidou, a beaucoup de respect pour elle. Et il veut créer avec des lieux comme Kanal de vraies coopérations et ne pas imposer ses vues. Elle devra encore certes s'habituer au surréalisme institutionnel belge et j'espère qu'elle pourra s'appuyer sur un conseil d'administration qui devrait se professionnaliser, car il a eu une part de responsabilité dans le cafouillage de juin dernier."