Étonnante partition d’Alice Lothon à La Louvière
À Keramis, la Française Alice Lothon signe une incroyable installation où tout se mêle et s’emmêle dans un heureux charivari de formes.
Publié le 03-03-2022 à 16h03 - Mis à jour le 03-03-2022 à 16h35
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Keramis, c’est le Centre de la Céramique de la Fédération Wallonie-Bruxelles et il porte bien son nom, le lieu, historique, étant édifié sur ce qu’il reste des anciens établissements Boch de La Louvière.
C’est aussi, à côté d’une exposition permanente d’une collection des anciens produits manufacturés par Boch au long de ses années de production, une collection des meilleures réalisations de quelques-uns de nos plus célèbres céramistes.
C’est enfin un lieu de résidence pour jeunes artistes avec, le plus souvent, une exposition à la clé. En ce moment et jusqu’au 13 mars (il faut donc faire vite), Keramis accueille une époustouflante démonstration de la Française Alice Lothon.
Quand on pénètre dans la salle, blanche et impressionnante, où s’est éclatée Alice Lothon, le regard ne sait, d’abord, où se poser, tant il y a à voir et à découvrir dans une sorte de joyeux bric-à-brac de formes diverses.
Il y a ses collages, il y a ses céramiques, il y a tout un agencement aux apparences hétéroclites qui fait, en fait, flèche, de toute terre. C’est par le collage qu’Alice Lothon est entrée en art. Des collages qui sont, avant tout, de découpages minutieux d’images ressemblant de près, comme de loin, aux "découpis" que collectaient nos grands-mères dans des albums créés à cet effet.
Découpant de vieilles images pieuses, des reproductions de tableaux (les anges musiciens de Van Eyck, par exemple) mais aussi des illustrations plus actuelles, Lothon s’est de la sorte constitué un bagage d’émotions très diverses, qu’elle épingle sur les murs comme autant de bribes et poussières aux allures de petits moments de joies ou réflexions passagères.
Au scalpel
Travail minutieux, ces collages sont découpés au scalpel par une artiste qui découpe de tout. Dans les magazines comme dans des lots de cartes postales. Et, comme nous l’indique Laghouati, quand elle suivait les cours des Beaux-Arts de Paris dans la classe de Joël Kermarrec, après l’avoir encouragée, le professeur soudain se désintéressa de ce travail. Au contraire de Jean-Michel Alberola. En œuvrant ainsi, Alice Lothon se faisait l’œil et la main.
Les associations d’images créées par Lothon, loin d’être anodines, fomentaient - on peut le voir sur les murs de Keramis - sortes de papillons papillonnant, des figures hybrides se jouant des formes pour innover un langage différent.
Aux côtés de ces collages, sont placées des céramiques, la plupart, noires, mais parfois très colorées. Ce qui crée un véritable univers de formes que l’œil perçoit d’abord comme hybrides, avant de constater qu’elles ont de bonnes raisons de se trouver là, à leur place.
Dans ce charivari de formes, qui sont aussi des écritures, des figures, des rappels de quelque chose qui peut nous concerner, Lothon articule un langage loin d’être anodin. Dans sa préface, Laghouati en explore les tenants et aboutissants. Ce n’est pas rien !
Et la terre après tout
C’est en 2007 seulement qu’Alice Lothon s’attaqua à la terre en expérimentatrice forcenée, loin de tout académisme. À chaque fois qu’elle montrait les ébauches de son discours, elle s’offrait une mise en scène particulière, cherchant toujours la composition ludique capable de faire mouche.
À Keramis, dans le vaste espace alloué, elle expose sa Grande Ourse, qui pourrait être vue comme une constellation d'étoiles, aux formes peu ou prou humaines, susceptible, certes, de nous intriguer, de nous surprendre, de nous interloquer, mais aussi de nous positionner par rapport à un monde farci de sous-entendus, de vérités à saisir au-delà du réalisme évoqué.
Les histoires cachées la gouvernent. Tout bénéfice pour le spectateur attiré par les surprises qui gîtent au cœur des formes et circonvolutions.
Dans l’espace, des socles hybrides surmontés de céramiques, parfois comme un rappel de notre monde télécommandé. Parfois un pot empli de tiges (illustration d’un lot de pinceaux ?). Parfois des mains qui se rejoignent dans une sorte d’acte désespéré ? Il y a beaucoup de mains qui entourent ses collages improbables. Ne semblent-elles pas tisser entre elles les convergences ou disparités d’une vie ?

Des fragments, des étoiles, des machines étranges, des tresses, des liens, une roue de bois qui égrène le temps, des couronnes écrasées (symboles d’un monde, de potentats fracturés ?). Une flûte, une équerre, une pipe, des garrots, des piques, des énigmes en veux-tu, en voilà.
Et il y a son Tarot, ensemble de terres cuites avec mission d'y regarder encore de plus près. C'est spectaculaire et vous y trouverez votre comptant de satisfactions à force d'y peser le pour et le contre.
"Je ne peux pas tout expliquer, dit-elle. Mais la Grande Ourse s'adresse par pneumatiques, elle est toujours debout, incarnée de rayons verticaux multicolores très lumineux qui glissent les uns dans les autres, elle n'a pas de contours sinon le sourire de ses mots… 50 jours de Résidence et mille frontières surprises - valises baluchons petits sentiers grandes voies et lance-pierres : tapis roulant tapis volant… millefeuille pour aller n'importe comment, masque clignotant."
Comme vous pouvez le constater, Alice Lothon a cheminé à Keramis en se surprenant sans cesse. Ne nous abstenons pas. Allons, avec elle, de surprise en surprise…
--> Publication d’un petit catalogue en couleur de 40 pages et texte important de Sofiane Laghouati, conservateur au Musée de Mariemont.
Alice Lothon - Grande Ourse Installation contemporaine Où Keramis, Centre de la céramique, 1, place des Fours-Bouteilles, 7100 La Louvière. www.keramis.be et 064.23.60.70 Quand Jusqu'au 13 mars, le mardi, de 9 à 17h ; du mercredi au dimanche, de 10 à 18 heures.

En savoir plus
Née dans les Yvelines en 1973, Alice Lothon est membre de La Ruche, à Paris. La Ruche, une cité d’artistes au cœur du quartier Montparnasse. D’abord collagiste, elle travaille la terre depuis 2007. Depuis lors, elle marie ces pratiques entre figure et écriture.
En 2019, elle fut l’élue du Prix Résidence C14-Paris. Ludovic Recchia, directeur de Keramis, partenaire et juré de ce Prix, l’invita, dans la foulée, à rejoindre La Louvière pour une démonstration sans filet. Réussite !