Esch, capitale européenne de la culture ou l’autre Luxembourg
Avec ce titre de capitale européenne, Esch ancien centre métallurgique veut montrer une autre culture. À Belval, au milieu des hauts-fourneaux restaurés, deux nouveaux lieux d’exposition.
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Publié le 06-03-2022 à 11h28
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Esch-sur-Alzette, 36000 habitants, deuxième ville du Grand-Duché de Luxembourg, la « métropole du fer » comme on l’appelait, est cette année «capitale européenne de la Culture» comme Mons par exemple le fut en 2015. Un titre qu’elle partage avec Kaunas en Lituanie et Novi Sad en Serbie. Un lien que sa directrice générale Nancy Braun, veut souligner au moment où se déchaine l’invasion russe en Ukraine. Ces deux autres villes sont plus proches des zones de guerre, et il est important, dit-elle, de souligner le rôle de la culture et l’ancrage européen, face à cette violence. De nombreux échanges culturels réciproques sont prévus entre les trois villes.
Après des années de préparation parfois difficiles, y compris un changement d’équipe et des polémiques comme en ont connus d’autres capitales européennes de la culture, Esch2022 a été lancé le 26 février. Par chance, ce fut au moment où s’annonçait la fin de la pandémie. Le projet bénéficie d’un budget de l’Etat luxembourgeois de 40 millions d’euros et dix millions de la ville d’Esch.
Esch (l’Alzette n’est qu’un petit ruisseau canalisé), reçoit ce titre de capitale culturelle quinze ans après la ville de Luxembourg qui l’a été en 1997 et 2007.
Esch2022 a la particularité de regrouper aussi 19 communes transfrontalières: onze du Luxembourg Sud ainsi que huit françaises. L’ensemble regroupe 200000 habitants. A tour de rôle ces communes seront au centre des manifestations d’un événement qui insiste plus que jamais sur la participation citoyenne et sur l’occasion par cet événement de fédérer les populations, de montrer la richesse culturelle liée à leur diversité.
Le maître-mot est Remix, évoquant le mélange entre différents univers, l’ambition de mélanger les frontières, les personnes, les arts.
Transformation
Esch n’est pas Luxembourg-ville, distante d’à peine 30 km. On est dans un tout autre univers, loin de l’image souvent caricaturée d’un Luxembourg riche, d’un pays de banquiers. Si Esch fut une ville prospère à l’époque de gloire de la sidérurgie, elle est aujourd’hui comme dans d’autres régions industrielles européennes, en attente de reconversion.
On y croise dit-on 120 nationalités de toutes les langues, et d’abord la très importante communauté portugaise (38% des Eschois). Située juste à la frontière française, sa situation entraine chaque jour le trafic de dizaines de milliers de travailleurs transfrontaliers habitant en France où la vie est moins chère.
« Le fil conducteur est de mettre en valeur cette région autrefois portée par une tradition industrielle et qui tend aujourd’hui à devenir un centre avant-gardiste de connaissances et de technologies novatrices et créatives », explique Françoise Poos, directrice de la programmation culturelle.

Cet objectif est présent sur les 120 ha de Belval, le site des anciennes usines sidérurgiques de l’Arbed, qui se présente désormais comme« cité des sciences ». L’Arbed y construisit encore trois nouveaux hauts-fourneaux entre 1965 et 1979. Le dernier stoppa en 1997.
Géré par le Fonds Belval, on entama alors dès 2001 un travail lent et difficile de reconversion de la friche avec entre autres l’apport de l’architecte paysager Michel Desvigne qui a construit des bassins aquatiques autour des hauts-fourneaux et une forêt urbaine en devenir, et des éclairages du grand designer allemand Ingo Maurer.
On a conservé, repeints à neuf, deux énormes hauts-fourneaux qu’on peut visiter dès le printemps. A 40 m de haut, ils offrent des vues sur tout le site et les environs. Le troisième n’a gardé que son socle en béton qui servira de scène à des concerts cet été.
Esch2022 a aussi un volet de découvertes nature, mais qui rappellent aussi ce passé, comme dans le parc industriel et ferroviaire de Minett Fond-de-Gras (Minett est un terme luxembourgeois qui désigne cette terre rouge, couleur du minerai de fer) avec rappel du chemin de fer et des entrées de la mine, et des balades en forêt.
Nouveaux lieux
Le démarrage effectif de Belval a pris du temps, mais la création d’une gare toute moderne, l’installation d’une université avec des étudiants venus de 113 pays, et l’ouverture d’une salle de concert (la Rockhal) ont été les déclencheurs d’une animation du site.
La reconversion continuera avec la construction qui a débuté d’un très grand bâtiment à énergie positive (il produira de l’énergie pour le site grâce aux panneaux recouvrant sa surface extérieure). Il abritera les archives officielles du Grand-Duché,
La bibliothèque à l’architecture très contemporaine vaut aussi par son intégration réussie de vestiges industriels. Pour Esch2022, deux nouveaux lieux culturels ont été créés dans d’anciens bâtiments sidérurgiques restaurés.
La Möllerei était le lieu où on entreposait le minerai et chargeait les tapis roulants qui alimentaient le haut-fourneau. Pour l’inaugurer, il y a l’exposition Hacking Identity Dancing Diversity (jusqu’au 15 mai) préparée avec le ZKM de Karlsruhe (grand centre d’art numérique). On y voit les oeuvres de 25 artistes internationaux proposant des oeuvres souvent interactives et interpellantes. Une immersion dans un nouveau monde au coeur d’un bâtiment lié au monde ancien. On y voit entre autres, l’installation de l’artiste belge Saddie Choua, avec une oeuvre prêtée par Kanal, interrogeant nos préjugés culturels.
La Massenoire est un autre bâtiment recyclé pour Esch2022. L’exposition qui s’y tient est une immersion dans la vie quotidienne passée des ouvriers sidérurgiques et de leurs familles. On y rappelle, par exemple, comment tout l’environnement était sans cesse pollué par la poussière qui s’infiltrait partout, quand les classes d’enfants devaient se donner alors en pleine forêt pour trouver un air plus sain. Ou comment les épouses des ouvriers payés alors en cash surveillaient leurs maris qui faisaient la tournée des cafés. On montre aussi la fierté de ces travailleurs et leurs luttes.
La ville d’Esch souffre toujours d’une piètre réputation qu’Esch2022 entend aider à renouveler. En octobre, a été ouvert un ambitieux centre d’art contemporain installé dans un ancien magasin. La première exposition plonge le visiteur de la Konschthal, dans l’univers de l'artiste multidisciplinaire Filip Markiewicz qui avait représenté le Luxembourg à la Biennale de Venise. Jusqu'au 22 mai, son exposition Instant Comedy, est une interrogation par des dessins, peintures, sculptures et vidéos, sur l’actualité, la force des nouveaux médias et du monde virtuel. « Le monde est une scène de théâtre, écrit-il dans un néon, mais les acteurs ne sont pas bons.»

Participatifs
La ville propose aussi de découvrir le Musée national de la Résistance avec une exposition du graveur belge Frans Masereel.
D’autres équipements sont ouverts pour l’occasion, y compris en France, comme l’Arche, qui devient le pôle culturel de Villerupt.
Comme toujours dans ces capitales culturelles, on aligne des chiffres. Ici, 2000 événements, 141 concerts (dont les francofolies), 137 expos, etc.
Esch2022 organise aussi de nombreux ateliers participatifs, s’appuyant sur les communautés et associations culturelles locales. C’est une des caractéristiques de l’événement qui veut privilégier cet aspect à la venue de « grands noms », une démarche que recommandent les autorités européennes.
Un exemple, ce sont les cinq « Nuits de la culture », prévues en 2022 et dirigées par Loïc Clairet (un ancien de Mons 2015). Lors de chacune de ces Nuits, on pourra dans un quartier différent, suivre des nombreuses propositions amenées par des groupes locaux ou invités spécialement, dans un parcours gratuit et des lieux public, privés ou en plein air. Pour revaloriser le potentiel local. La première Nuit des 11 et 12 mars a pour thème « Sauvage », avec une centaine d’artistes.
Un autre bel exemple de participation citoyenne est le projet des Differdancedays (à Diifferdange) mené le collectif de danseurs et chorégraphes Lucoda qui organise des workshops avec des habitants volontaires et des associations culturelles pour danser ensemble. La danse étant une langue universelle pour exprimer des sentiments quelles que soient l’origine et la langue parlée par les participants, une manière de se mettre en mouvement. Un spectacle commun, appelé Le Bal, aura lieu en octobre unifiant ces ateliers et permettant d’ouvrir les salles de spectacle à des publics qui n’y vont généralement pas.
Comme toujours pour ces Capitales culturelles européennes, le succès se mesurera à la participation et à l’intérêt des populations locales et à la pérennisation ou non de ces initiatives au-delà de 2022.
Le programme est à suivre sur Esch2022.lu