Quel est donc ce bâtiment mystérieux ?
Le festival BANAD (Brussels Art Nouveau&Art Deco) s’ouvre pour trois semaines de festivités. Des conférences et visites inédites d’intérieurs privatifs, des lieux jamais ouverts au grand public. En avant-première, focus sur la vénérable Régie des Télégraphes et des Téléphones, à Schaerbeek.
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Publié le 12-03-2022 à 16h04
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Rue des Palais, quand on remonte vers le Botanique, on avait bien remarqué ce bâtiment gris sérieux aux allures Art Déco classique. Arrêté au numéro 44, on se dévissait la tête pour tenter d’avoir une perspective dans la hauteur, mais on était écrasé par l’impressionnante contre-plongée. Un immeuble dont on ne savait pas ce qu’il renfermait, puisqu’on n’y rentrait pas si on n’y était pas invité. Son air hiératique posait question, renforcé par ses airs d’architecture musolinienne – grandiloquence, froideur. Et, à la fois, rien d’étonnant puisque ce bâtiment a été édifié entre 1937 et 1938.

En compagnie d’Isabelle Vanebosse, guide conférencière, on pénètre dans ce qui est en fait l’ancien hôtel de l’Administration centrale de la Régie des Télégraphes et Téléphone, autrement dit la RTT. On grimpe quatre à quatre un escalier en marbre bleu et rosé – très veinés comme c’est le cas dans les bâtiments de cette époque (on pense à l’hôtel de Ville de Schaerbeek) –, le matériau de luxe étant utilisé dans ce qu’il peut créer comme contraste.

Le visiteur est accueilli par des bas-reliefs, de part et d'autre de l'entrée, mettant en scène des hommes en train de démonter des rails de chemins de fer. Étonnante représentation en l'honneur des agents de la Régie des Télégraphes et des Téléphones qui, durant la Seconde guerre mondiale, ont fait preuve d'une résistance acharnée. "Au centre du hall, rappelle Isabelle Vanebosse, trônait un buste de Walthère-Joseph-Charles Dewé, ingénieur en chef à la RTT." L'homme avait été à l'origine de la création du réseau Clarence qui participa activement de 1940 à 1944 à la diffusion de messages, de cartes, de croquis, à destination de Londres.

Un bâtiment d’état qui dit la puissance
Dans le hall de la RTT, on comprend qu'il faut fait preuve du sérieux des lieux. De l'importance de la chose télécommunicante. "Dans les années 30, quand l'appel à projets est lancé, la modernité est le moteur de l'économie. Les postes téléphoniques sont déjà nombreux (cf. notre épinglé chiffres) et l'équipement ne cesse d'augmenter". L'État décide de faire édifier une régie neuve à la hauteur des attentes communicationnelles. La technique évolue, le service doit suivre. C'est Michel Polack, architecte du Résidence Palace et de la Villa Empain qui remporte le concours. Le bâtiment est en béton armé, un nouveau matériau qui permet une plus grande rapidité d'exécution. Il faudra moins d'un an pour édifier ce mastodonte. "Ce premier bâtiment est réservé à la direction : il comporte les bureaux du directeur général, de l'inspecteur général, six bureaux des directeurs d'administration et 38 bureaux d'ingénieurs et de chefs de service". Un autre bâtiment verra le jour après guerre, complétant le premier édifice, toujours imaginé par Polack, mais terminé par ses fils après son décès.
Visualiser une administration des années 30
Notre guide poursuit son chemin. "Dans le hall habillé de travertin et d'un banc d'attente cylindrique qui fait référence aux engrenages, à la force du mouvement, il y avait alors trois ascenseurs, des pater noster" (NdlR, un ascenseur qui fait tourner plusieurs cages, un peu comme une grande roue : ainsi vous n'attendez jamais pour descendre ou monter. "Il y a [avec le pater noster], quelque chose des films de Jacques Tatie, où la modernité est nécessairement en mouvement".

Si on choisit de prendre l’escalier pour se rendre dans l’un des sept niveaux supérieurs, on pénètre dans les espaces de travail de l’époque. Pensés dans l’esprit de l’architecture fonctionnaliste. Chaque employé avait son bureau, meublé avec efficacité. Un vestiaire et un lavabo, dissimulé derrière des portes au placage bois, des tableaux cachés à l’intérieur de meubles qui se déploient.

Des casiers en bois encastrés au mur. Tout est pensé pour maximiser l'efficacité. Et dans le souci de maintenir un certain standing. Les télécommunications sont très importantes pour l'État qui en détient le monopole, "mais la RTT est aussi une antenne commerciale qui doit rapporter à l'état en répondant aux demandes de la société civile en équipement téléphoniques". Au sol, du linoléum, révolution qui peut imiter le marbre tout en encaissant le bruit.

Les murs des bureaux d’ingénieurs sont recouverts du tout nouveau Flexwood, papier peint imitation bois qui donne du lustre aux lieux tout en permettant une économie de moyens. Ça et là, des vestiges des bureaux années 30, comme cette cabine d’accueil, ou ces horloges qui surmontent la porte des bureaux, réglées sur l’horloge centrale, symbole de l’employé de bureau.

On s'étonne de l'état des lieux et sommes près de ronchonner auprès de notre guide sur les modifications malproprement apportées au bâtiment années 30 : les rénovations suivantes nous sautent aux yeux. "Ce bâtiment n'est pas classé, et il a fallu lui trouver une nouvelle affectation quand Belgacom est parti s'installer dans les tours Nord. On a cherché à créer des espaces polyvalents (c'est le cas de l'actuel M-Village, NdlR) et les caractéristiques de l'Art Déco ont été conservés : les bois, céramiques aux murs, zincs et linos. Alors, pour les amateurs de patrimoine, ce n'est jamais suffisant, mais on aurait pu tout casser".
Régie des Télégraphes et des Téléphones. Rue des palais 44, à Schaerbeek. Visites les 26 et 27 mars, 45 minutes. En français, néerlandais & anglais.
LA RTT EN CHIFFRES
Le téléphone qui grandit.
En 1938 : 305 000 abonnés
1940-45 : démantèlement des réseaux.
1946 : 350 000 abonnés
1951 : 522 000 abonnés
1965 : 1 049 000 abonnés
Les agents du téléphone.En 1938, la RTT emploie 800 employés de divers services, auxquels s'ajoutent la direction générale, les directeurs d'administration et les ingénieurs (environ 50 personnes).
Les matériaux du bâtiment.7000m2 recouverts avec du linoléum contre seulement 500m2 de parquet et 300m2 de marbre. Le parquet, c'est pour la direction.
Les horloges. 140 en tout. L'installation horaire fonctionne au moyen d'une horloge mère commandant par impulsion les horloges secondaires du bâtiment.
Quand : À partir du 12 et jusqu’au 27 mars, après deux éditions reportées, le BANAD festival offre une édition augmentée de ses festivités.
Qu’a-t-on repéré pour vous ? On est tout sauf exhaustif,
mais :
Le premier week-end. 11,12 et 13 mars. – Le vendredi, à 18h30, au Residence Palace, concert d’ouverture en compagnie du crooner bruxellois Mister Mo. Prix : 5 euros. Rés. sur présentation du pass Banad. – Visite guidée, samedi et dimanche, de la maison Blérot, signée du créateur prolifique d’Art nouveau. Rue de Belle Vue, 46, 1000 Bruxelles. (10€, visite : 2h00) – Visite guidée d’une demeure privée, l’hôtel particulier Max Hallet, 346 avenue Louise, où La Libre a déjà eu la chance d’entrer. On y perçoit l’unicité du style de Victor Horta, maître de l’art nouveau. (15 €, visite : 50 min.) – Promenade guidée De l’avenue des Sept Bonniers à l’Altitude 100. Marche guidée dans l’avenue arborée qui propose d’observer différents styles cottage, Art Déco, Art nouveau. Le dimanche, avec Arkadia, (12 €, visite : 2h00)
Le second week-end, les 19 et 20 mars. – Visite guidée inédite de l’ancienne Banque Brunner, à l’origine un hôtel de maître néoclassique et reconverti, vers 1900, par l’architecte Léon Govaerts est de style Art nouveau et éclectique, pensé pour accueillir les bureaux de la banque Brunner. Rue de la loi 78, 1000 Bruxelles. (Visite : 45 min.) – Anderlecht, entre cités-jardins et quartier bourgeois. À la découverte à bicyclette, de l’une des plus grandes communes. Nombreuses maisons Art Déco exceptionnelles y sont signées par des architectes de l’entre-deux-guerres : Antoine Courtens, François Van Meulecom, Léon Sneyers… Samedi, au départ du Square de l’Aviation 29. (16 € 3h30)
Le troisième week-end, les 26 et 27 mars. – Visite guidée inédite de l’ancien Institut Coppez. Érigé en 1912 par l’architecte Art nouveau Dewin pour abriter l’Institut ophtalmologique du docteur Coppez. Une œuvre d’art total, composée d’influences du Japon et de la Sécession viennoise. Restauré en 2021. Avenue de Tervueren, 68-70, à 1040 Bruxelles (Visite : 45 min). – Visite guidée inédite de la maison atelier du peintre Arthur Rogiers. Restaurée en 2017, elle donne une bonne idée de la maison d’un artiste à la fin du XIXe siècle, lorsque Bruxelles était un pôle d’attraction important pour toutes sortes d’artistes, d’écrivains et d’intellectuels. Rue Charles Quint 103, 1000 Bruxelles (Visite : 50 min) – La Foire d’objets Art nouveau Art Déco, et le Salon des restaurateurs se tiendront, à l’École n°13, à Schaerbeek.