Huguette Caland célébrait la vie en toute liberté
Le Wiels révèle et rend hommage à l’oeuvre de la peintre libanaise Huguette Caland.
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Publié le 14-03-2022 à 13h34
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Le Wiels poursuit avec Huguette Caland un travail de longue haleine révélant des artistes femmes méconnues durant leur vie. Ce fut par exemple, le cas avec les expositions Alina Szapocznikow et Sophie Podolski.
Cette fois, est mise en avant une grande figure de l’art contemporain libanais, aux côtés d’artistes comme Etel Adnan. Huguette Caland est née en 1931 et morte à 88 ans en 2019.
Elle fut avant tout une peintre et s'était fait connaître dans les années 70 par sa belle série Bribes de corps (qu'on retrouve au Wiels). Elle peignait avec des aplats colorés des parties de son corps ou du corps de ses amants en très grands dessins devenus abstraits tout en conservant une sensualité voluptueuse, un érotisme subtil et rare dans le monde arabe, suggérant le corps sans jamais le révéler. Les couleurs et les ombres évoquent des genoux, des seins, des lèvres, formant un paysage chatoyant.
On la connaît aussi pour ses caftans (des tuniques longues) qu’elle portait toujours par confort et pour dissimuler son surpoids permanent. Elle les avait fait faire, avec par-dessus, des dessins de son corps. Pierre Cardin les appréciait tant qu’il lui demanda d’en faire pour sa maison de couture.
Huguette Caland fut aussi une dessinatrice brillante qui, avec un trait unique à l’encre, pouvait délicatement montrer des hommes et femmes assemblés. Là aussi, elle y mêlait parfois des subtiles allusions érotiques, comme on le voit (quand on le sait) dans les peintures qu’elle réalisa autour de représentations de poils pubiens devenus des boucles frisottantes.
Elle laisse aussi une oeuvre très différente avec de grandes peintures abstraites, très colorées, inspirées des textiles palestiniens ou de paysages orientaux vus d’avions qui font penser à Paul Klee.

Fille du président
La vie d’Huguette Caland fut une aventure, une ode à cette liberté de vivre comme elle l’entendait quitte à bousculer les conventions.
Elle était née dans une riche famille de politiques libanais. Son père, Béchara el-Khoury, fut le premier président du pays, élu en 1943 peu après que la France ait accordé l’indépendance au Liban. Il resta neuf ans au pouvoir avant de devoir quitter le poste en 1952. C’est cette même année qu’Huguette Caland épousa à 20 ans, Paul Caland, le neveu d’un adversaire politique de son père, proche en plus de la France, l’ex-pays colonisateur. C’était déjà le signe d’une liberté revendiquée. Le couple était très libre, chacun ayant des amants.
"Toute ma vie, a-t-elle dit, j'ai refusé d'être 'la fille de', 'la femme de', 'la mère de'."
Elle eut trois enfants et s’occupa de son père jusqu’à sa mort en 1964, lorsqu’elle s’autorisa alors à entreprendre des études de peinture et de dessin à l’université américaine de Beyrouth.
En 1970, à 39 ans, elle prit une décision radicale: elle quitta seule le Liban, sa famille, ses amis, ses enfants et s’installa à Paris estimant que c’était la condition pour travailler son art.
Elle y rencontra Pierre Cardin et réalisa pour lui ces caftans anthropomorphes dont on voit des exemples au Wiels et elle entama à 52 ans une relation avec le sculpteur roumain George Apostu.
A la mort de celui-ci, elle déménagea à Venice (Los Angeles), où elle se fit construire une étonnante maison-atelier contemporaine, en collaboration avec l’architecte Neil Kaufman : une maison fermée de l’extérieur, mais très ouverte à l’intérieur, pleine de lumière et sans aucune porte entre les pièces, y compris la salle de bains et les chambres à coucher.
A Los Angeles, elle était au centre d’une collectivité d’artistes de la Côte Ouest qu’elle recevait chez elle, comme Ed Moses et Larry Bell. Elle déménagea une ultime fois en 2013 pour revenir à Beyrouth où elle mourut.
Sa (re)découverte fut tardive avec une expo à Beyrouth en 2013, une présence à la Biennale de Venise en 2017, une rétrospective à la Tate St Ives en 2019 et maintenant cette rétrospective organisée par le Drawing Center de New York et le Wiels (curatrice Devrim Bayar).
Huguette Caland, au Wiels, Bruxelles, jusqu’au 12 juin