Marthe Wéry à La Patinoire Royale : un parcours réglé comme du papier à musique
En offrant leurs splendides espaces sous verrière à Marthe Wéry, Valérie Bach et Constantin Chariot dopent le printemps.
Publié le 18-03-2022 à 12h08 - Mis à jour le 18-03-2022 à 14h34
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Le commissaire d’un accrochage et de choix réussis n’étant autre que Pierre-Olivier Rollin, fin connaisseur de l’œuvre très pure de Marthe Wéry, cette exposition s’annonçait, d’emblée, gage de réjouissance. Elle l’est, en effet.
Sportif forcené, responsable en tous ses actes d’audace et de perspicacité, Rollin avait, il y a quelque temps, en 2017, voué son BPS 22 à la consécration institutionnelle post mortem d’une artiste qui aura passionnément vécu sa vie en quête d’émotions sensibles et visuellement transmissibles. Il n’a pas davantage flanché cette fois-ci et La Patinoire éclate de couleurs, de vibrations, parfois insolites ou plus timides. L’ensemble enlève la partie en marquant ses buts à bon escient.
Point de parcours chronologique en cette occurrence mais, plus subtil et conquérant, une déambulation qui fait la part belle aux accointances chromatiques entre les pièces aux cimaises. C’est si vrai que, clin d’œil opportun à saisir en levant le front, à un moment donné, le bleu profond de Marthe Wéry répond, avec noblesse et distinction, au bleu de la rosace d’une Patinoire qui a donc plus d’un atout dans son sac.
Par ailleurs, ses séries, leitmotiv régulier chez elle, trouvent ici leur place sans crier gare et la joie est grande de les détecter au fil d’une visite qui se réjouit de passer de l’une à l’autre sans coup férir. De connivence entre elle et nous comme si, suprême élégance, les questions et réponses allaient de soi entre personnes de bonne compagnie.
De l’abstraction à la monochromie
Point ici d’œuvres d’avant, de cette période ancienne quand Marthe Wéry y allait de lignes et de formes. Faute d’éléments probants dans les réserves de la famille ou parce que le grand œuvre de l’artiste est à saisir au cœur même de son attachement évolutif aux élans monochromes ? L’abstraction des débuts aura, chez elle, fait place nette aux monochromies, ces révélatrices d’un ouvrage abouti entre toiles et dessins posés sur les murs et toiles en installation au sol, comme elle s’y ingénia lors de sa participation, en 2001, à la grande exposition de Laurent Jacob dans l’ancien emplacement des douanes à Tour et Taxis, alors que le site attendait sa rénovation. Elle s’y appliqua à diverses reprises, ailleurs aussi.
Dans la préface du catalogue, Valérie Bach et Constantin Chariot évoquent, en guise de conclusion, "Le Son du Silence". Tout l’art de Marthe Wéry y joue ses accents les plus forts. Les plus pointus. L’art peut être émotion. Il est aussi contemplation.
Tenue, à juste titre, à l’international, pour l’une des plus obstinées artistes minimalistes, Marthe Wéry (1930-2005) ne s’est point départie d’une rigueur faite sagesse et conviction. L’exposition en est l’éclatante démonstration.
En provenance de l’atelier bruxellois de l’artiste, quasi jamais montré, le lot d’œuvres au catalogue résume idéalement un parcours réglé par elle comme du papier à musique. Car sa peinture, si elle était silence, était aussi, et le reste, petite musique aussi discrète et profonde qu’un silence. Une valse des chromatismes et jusqu’à celle de grisailles emplies de lumières.
Une artiste philosophe
Marthe Wéry savait le pouvoir des couleurs, comme elle savait le pouvoir des mots. Et, attachement supérieur, le pouvoir de ces silences qui, entre mots et couleurs, condensent et certifient une pensée.
Artiste philosophe, Marthe Wéry puisait dans la couleur, ses assemblages et superpositions, le matériau indispensable à la concrétisation de sa quête spirituelle. Une quête qu’elle entendait partager avec les architectures d’alentour quand cela lui était possible, comme elle s’y attacha en ses dernières années et, notamment, lors de son exposition testament au Musée des Beaux-Arts de Tournai avec, déjà, Rollin aux commandes de ses tirs au but.
Femme aux sensations d’exception, Marthe Wéry traquait les ondes que lui libéraient la couleur et ses agencements dans l’espace d’une toile ou d’un ensemble de travaux. Ses lignes parallèles, à traquer de près, entre ses gris et ses blancs, dans l’épaisseur du papier, transfigurent notre perception d’un tout à prendre comme il vient, sans se poser d’inutiles questions.
"Déplacements"
Comme le souligne Pierre-Olivier Rollin en reprenant quelques termes d'un entretien qu'eut Christian Debuyst avec Marthe, sa femme, à propos du cheminement de l'œuvre, Marthe Wéry insistait sur l'importance des mots : "Je préfère le terme de déplacement à celui d'évolution. Lorsque je parle de déplacements, ceux-ci restent chargés de questions et de solutions rencontrées antérieurement. Je ne passe pas d'un ensemble de réalisations à un autre ensemble comme s'il s'agissait de périodes successives et d'univers définitivement clôturés auxquels le terme d'évolution fait penser. Celui de déplacement rend les choses moins 'lisibles'car rien n'est jamais définitivement clos."
Ceci explique aussi pourquoi une démonstration chromatique sans chronologie a tout son sens et répond au souci d’une artiste de ne point s’enfermer alors que son œuvre, son travail, se poursuit, inlassable, toujours la (le) même, quand bien même elle (il) serait autre aussi.
Marthe Wéry se refusait à tout enfermement, entendait se redéployer sans pour autant se renier. Comme l'explique Rollin, elle le faisait "au départ des composantes fondamentales de la peinture que sont le support, le châssis, le cadre et la peinture".
Marthe Wéry soulignait : "Les éléments doivent conserver leur réalité d'une manière suffisamment distincte et nette. La toile doit apparaître comme de la toile, l'encre est de l'encre. En d'autres termes, chaque matière doit apparaître, je dirais presque, doit être reconnue pour ce qu'elle est. Mais, d'un autre côté, ces éléments doivent établir entre eux une relation structurante."
Sa relation voulue avec l’architecture était, pour elle, une façon de se libérer de toute obligeance, son travail lui appartenant. Il est important de bien reconnaître les matières, matériaux et "déplacements" qui ont pu la guider et donnent à cette œuvre une résonance si particulière.
Aux cimaises, au sol, en équilibre dans l'espace, Marthe Wéry aura misé sa participation au monde sur des contrariétés qu'elle aura su apaiser par des collusions de cœur et d'esprit, des matières aux couleurs et vice-versa. Par une autonomie aussi qu'elle maîtrisa de main de maîtresse femme. Contrairement à Picasso qui proférait : "Je ne cherche pas, je trouve !", Marthe Wéry cherchait, pesait le pour et le contre, pour finir par trouver sa solution. Une solution qui prenait autant en compte la rigueur de ses quêtes et réalisations que la passion dont elle ne pouvait se départir.
Marthe Wéry au gré des "Déplacements" Art contemporain Où La Patinoire Royale, 15, rue Veydt, 1060 Bruxelles. www.prvbgallery.com et 02.533.03.90 Quand Jusqu'au 7 mai.

Très beau livre/catalogue en couleurs de 90 pages, Éditions Patinoire royale/galerie Valérie Bach. Textes de Constantin Chariot et Valérie Bach, Pierre-Olivier Rollin et Xavier Van den Broeck.