Isamu Noguchi, le sculpteur intensément créatif
Art Redécouverte par le musée Ludwig à Cologne de l’œuvre d’Isamu Noguchi.
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Publié le 13-04-2022 à 12h46 - Mis à jour le 28-04-2022 à 15h22
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Superbe redécouverte au musée Ludwig à Cologne, avec 150 œuvres du sculpteur et designer américain Isamu Noguchi (1904-1988). On y découvre l’étendue et la variété de son œuvre aussi bien que ses engagements politiques. S’il fut avant tout un sculpteur, il passa sa vie à expérimenter, franchir les frontières, transgresser les règles, défendre des causes qui lui tenaient à cœur. L’exposition ira ensuite au Barbican de Londres, au Lam à Lille et au musée Klee à Berne.

Sa vie fut tout un roman. Il est né à Los Angeles d'une mère américaine, l'écrivaine Leonie Gilmour et d'un père poète japonais qui quitta sa mère avant même sa naissance. On ne lui donna un prénom -Sam- que lorsqu'il eut deux ans. Il ne prit que plus tard encore celui d'Isamu. Rapidement, il vécut au Japon avec sa mère jusqu'à l'âge de 13 ans avant de repartir aux États-Unis suivre des cours de médecine et de sculpture. Avec une bourse du Guggenheim, il partit à Paris et devint l'assistant de Brancusi.
D'emblée, au musée Ludwig, on voit la variété de ses sculptures. L'exposition débute par de grands totems en basalte à moitié brut, à moitié lisse, comme des figures de Michel-Ange émergeant de la pierre. Plus loin, sont alignés les portraits sculptés de ses proches dont celui de l'architecte utopiste Buckminster Fuller et celui de Martha Graham, la grande chorégraphe pour qui il réalisa des objets de décor pour une vingtaine de ses spectacles, en réalité, de vraies sculptures incluant des branches et des fils métalliques. Une salle montre ses sculptures faites auprès de Brancusi avec qui il apprit les formes épurées à l'extrême, à la recherche de la quintessence des choses.

Designer
Isamu Noguchi enjambe toutes les disciplines et toutes les appartenances. Le voilà en Chine pour apprendre à peindre au pinceau-brosse et on en expose à Cologne de superbes exemples. Baroudeur, il multiplie les voyages pour s'imprégner de techniques nouvelles. Il devint designer à la mode, étendant le concept de sculpture aux objets, créant les célèbres luminaires en papier Akari, de toutes tailles, qui flottent dans l'espace comme des nuages ou se posent au sol comme des insectes lumineux (il y en eut cent modèles différents). Sa coffee table pour Herman Miller (vendue encore chez Vitra) est devenue iconique, avec un plateau en verre et un piétement de frêne noir fait de deux pièces croisées.
Son langage sculptural reste organique, mêlant des formes sensuelles, comme des os ou des galets longtemps caressés par les vagues. Ses sculptures rappelant la période surréaliste de Giacometti, s'assemblent comme pour former une architecture ou un corps humain (sa très belle Trinity et ses autres Interlocking Sculptures).
Il installa de nombreuses sculptures monumentales pour des parcs aux États-Unis et au Japon, et conçut des plaines de jeux. Il représenta les États-Unis à la Biennale de Venise en 1986 et travailla au pavillon américain de l'expo 58 à Bruxelles.

Vu de mars
Son engagement politique fut constant. Il réalisa un grand bas-relief pour la liberté de la presse sur le fronton de l'agence AP à New York et se lia d'amitié au Mexique avec Frida Kahlo et Orozco, réalisant un long bas-relief.

Refusant d'être cantonné dans une discipline ou dans une nationalité. Il ne se sentait ni japonais, ni américain mais citoyen du monde, il était sans frontières. Quand après Pearl Harbour, le gouvernement américain enferma précipitamment dans des camps, 120 000 citoyens américains d'origine japonaise, suite à l'hystérie anti-japonaise (un scandale que documenta la photographe Dorothea Lange), Isamu Noguchi passa volontairement plusieurs mois dans ces camps, ce qui influença son œuvre. Son engagement politique de pacifiste est repris par une projection sur un énorme mur du Ludwig : deux ans après l'explosion des bombes nucléaires à Hiroshima et Nagasaki, il avait imaginé la sculpture T o Be Seen From Mars (Memorial to Man). jamais mise en œuvre, qui esquissait dans un désert, un immense visage émergeant de la surface de la Terre, comme pour signifier que la planète a été détruite par l'humanité elle-même.
Isamu Noguchi, musée Ludwig, Cologne, jusqu'au 31 juillet.