Au Botanique, un essai de vision non pittoresque de la Suisse par Pierre-Philippe Hofmann
Publié le 21-04-2022 à 14h22 - Mis à jour le 21-04-2022 à 14h23
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De l’exposition "Portrait d’un paysage" disposée au sol de la galerie du Botanique, le visiteur perçoit d’abord une longue ligne d’images fixes et lumineuses serrées les unes contre les autres. Dès qu’il en voit une s’animer ou l’un des 72 écrans afficher un nouveau cliché, ce même visiteur comprend qu’il se trouve devant un dispositif plus sophistiqué qu’une présentation de photographies et qu’il lui vaut donc mieux commencer par en lire la présentation.
Infra paysage
Il n'est pas inutile en effet de se rappeler que Pierre-Philippe Hofmann, l'auteur de ce travail, "utilise des protocoles restrictifs pour explorer de nouvelles manières de représenter la réalité". C'était le cas de son projet "Lieux Communs" (2010), fruit de pérégrinations tout au long de la frontière linguistique belge dans lesquelles Anne Wauters voyait "un modus operandi […] permettant l'application d'un regard photographique de type documentaire sur un paysage de la banalité, un infra paysage […] sans motif ou sujet s'imposant d'emblée".
Cette approche du territoire est pour Hofmann une manière de comprendre visuellement, autrement dit concrètement, "comment se forme en nous l'image du monde". Une manière d'observer "si les images très abondantes qui nous en sont offertes concordent avec celles qui sont le fruit de notre expérience directe".
Protocole
Pour ce nouveau projet en prolongation de "Lieux Communs", l’artiste a choisi la Suisse. Il a fait le pari de renouveler la vision de ce pays hautement touristique et pittoresque, de sortir du registre de la carte postale qui lui colle à l’image en montrant sa diversité paysagère. Pour éviter de photographier sous l’emprise des traditions de paysage ou de la culture visuelle qui s’imposent à chacun, il a de nouveau eu recours à un protocole. En l’occurrence, il a décidé de parcourir le pays à pied en suivant dix tracés partant de ses frontières jusqu’en son centre géographique. Sur plus de 2700 km, durant toutes les saisons, il s’est obligé à réaliser un plan fixe vidéo d’une minute après chaque kilomètre parcouru. Une façon de conjurer les "lieux communs" de l’image (au sens de clichés) en s’imposant des points aléatoires de prises vues qui forcément le placent devant des "lieux communs" (au sens d’endroits banals).
Passionnant
Le propos est passionnant. Voilà donc des milliers d’images bâtardes (fixes, mais pas arrêtées) produites par un artiste qui volontairement se dessaisit de cette intentionnalité qui "fait" le photographe. En tout cas qui démonte cette concordance entre le point de vue physique et le point de vue intellectuel, inhérente aux images techniques telles la photographie ou la vidéo. Tout cela pour retrouver une sorte de virginité visuelle.
"La seule intention finalement ici c'est d'être juste avec le monde, de ne pas se l'accaparer, de ne pas tirer la couverture trop à soi, mais d'accepter ce qui se joue là, de rester observateur, plutôt pêcheur que chasseur", nous confiait l'artiste. Le pari a été tenu et ce d'autant plus que par son installation et le livre qui accompagne l'exposition, Pierre-Philippe Hofmann passe en quelque sorte le relais de la création de l'image au spectateur. Pour celui-ci, la vision de la Suisse dépendra de son choix parmi cette profusion d'images "sans qualité" de lieux "sans qualité" et donc in fine dépendra de ce qui va le toucher plus particulièrement. De ce que Roland Barthes nommait le "punctum".
À noter que l’’expérience peut se poursuivre avec le livre qui reprend toutes les images (sur plus de 400 pages !) et les prolonge par l’intermédiaire d’une application de reconnaissance optique. Il suffit au lecteur de cadrer les pages avec son smartphone pour accéder à plus d’un millier de vidéos et à quelques dizaines de témoignages audio qui se rapportent à des endroits spécifiques. De quoi reprendre ce voyage en Suisse à son compte.
"Portrait d'un paysage : tentative suisse" de Pierre-Philippe Hofmann Photographie Où Botanique, Galerie, 236, rue Royale - 1210 Bruxelles. www.botanique.be Quand Jusqu'au 8 mai, du mercredi au dimanche de 12h à 18h.

Le livre : Éditions Mer. Borgerhoff&Lamberigts, textes de Pierre-Philippe Hofmann, Raphaël Brunner, Anne-Françoise Lesuisse et Urs Stahel, 424 p., 49 €