Que dit la symbolique d'un temple maçonnique ?
On a passé les portes du temple égyptisant de la rue du Persil, à Bruxelles, où se réunissent différentes loges. On y suit Alain Jurisse, franc-maçon. Inédit : “La Libre Explore” propose, dans la foulée de ce reportage, d’assister à une rencontre débat avec des francs-maçons sur les sujets qui vous posent question.
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Publié le 30-04-2022 à 07h04 - Mis à jour le 01-05-2022 à 08h07
En vue de notre événement du 19 mai, nous sommes entrés dans un temple maçonnique afin d’en comprendre le fonctionnement et la symbolique. Visite guidée en compagnie d’Alain Jurisse, maçon depuis 52 ans, qui est aussi guide au musée de la franc-maçonnerie. Il se prête au jeu des questions et réponses, pour La Libre.

Nous voici pénétrant dans le temple égyptisant de la rue du Persil dont la porte d’entrée, marquée d’un triangle, nous avait déjà interpellée. Racontez-nous ce lieu.
Ce temple de style égyptisant est l’une des premiers du genre à avoir été construit, il a été inauguré en 1878. Peut-être faut-il préciser ce qu’on fait dans un temple maçonnique. La franc-maçonnerie étant une méthode d’accès à la connaissance, elle a pour pratique le langage symbolique et l’initiation. L’initiation est ce moment où vous êtes intégré ; l’ensemble prend la forme d’un jeu scénique qui se donne au cœur du temple. Des textes y sont lus, des mouvements se font qui constituent une somme de rituels. Il faudrait préciser que la franc-maçonnerie est divisée en 33 degrés. À chaque fois que vous passez d’un degré à l’autre, a lieu une cérémonie.
Hormis les initiations, le temple est le lieu des débats. Et c’est là qu’il peut y avoir des différences entre loges. Certaines loges discuteront de spiritualité, d’autres de problèmes sociaux, plus relatifs à notre époque. Le temple n’appartient pas à une loge en particulier, même si le temple de la rue du Persil a été édifié à l’initiative de la loge des Amis Philantropes. Enfin, notez qu’il n’y a pas de fenêtre dans le temple, mais une voûte céleste qui rappelle qu’en ce lieu sont défendues des valeurs universelles qui échappent aux conditions matérielles du monde extérieur.

Comment se déroule une cérémonie ?
Durant une cérémonie, présidée par le vénérable (est élu en principe pour 3 ans), un orateur vient à la stalle, qui résume et anime. Un secrétaire est positionné à ses côtés. Le maître de cérémonie qui détient un bâton (comme un bâton de parole, NdlR) est le seul à pouvoir se déplacer dans l’assemblée. À l’opposé de la pièce, les deux stalles des surveillants. C’est une technique dans la maçonnerie : vous devez pouvoir accepter d’entendre des opinions différentes des vôtres. Ainsi, il faut demander la parole aux surveillants. Le surveillant s’adresse au maître qui indique qu’un frère demande la parole, ce qui casse la possibilité d’agressivité dans la prise de parole. Quand le débat est fini, il n’y a pas de vote sur la question qu’on a évoquée. Chacun va ensuite, dans la vie profane, éventuellement se positionner sur la question qui a été débattue. C’est aussi pourquoi nous recherchons la différence d’opinions. En tant que franc-maçon, on se veut d’agir dans la société, c’est d’ailleurs pour cela qu’on dit que les francs-maçons sont partout. Nous ne sommes que 27 500 en Belgique, mais il est vrai que nous nous engageons dans la société. Sachez cependant que l’on ne doit pas du tout rendre des comptes à sa loge.

Pourquoi choisir le style égyptisant si loin de nos habitudes décoratives ?
Entre 1876 et 1910, tous les temples maçonniques sont de style égyptien en Belgique, plusieurs facteurs l’expliquent. Pendant des siècles, on n’a pas compris la civilisation égyptienne, notamment ses monuments grandioses. Mais il existait déjà cette idée de l’égyptosophie, développée par Hérodote et qui consistait à dire que science et philosophie étaient nées en Égypte. Il existait également un sentiment d’égyptomanie. Dès l’époque romaine, on repère des contacts avec l’Égypte. Au XVIe siècle, le peintre liégeois Lambert Lombard place toujours l’Égypte ancienne – même dans ses peintures au thème chrétien. La fascination pour l’Égypte prend de l’ampleur au XVIIIe avec la montée de l’ésotérisme qui s’attache à ce qui est caché, et comme on ne sait pas toujours lire les hiéroglyphes… Et même si Champollion les décrypte en 1825, l’imagination demeure, [autour des secrets de l’Égypte].

Ajoutez enfin à cela que la franc-maçonnerie prend naissance au XVIIIe siècle ; qu’il va y avoir un antagonisme fort entre la religion catholique et la franc-maçonnerie (NdlR, le pape Clément XII condamne la franc-maçonnerie dès 1738 – il décide d’excommunier ad vitam aeternam tout catholique qui appartiendrait à la franc-maçonnerie).
Les maçons doivent construire des locaux où se réunir, car, jusque-là, leurs réunions avaient lieu dans des maisons particulières ou des arrière-salles de café. Mais en construisant ce lieu, ils ne veulent pas que son style fasse référence aux édifices chrétiens de style gréco-romain, d’où le style égyptisant.
Pourquoi ce lieu se nomme-t-il un temple ?
Les francs-maçons choisissent de faire référence au style du Temple de Salomon, bien que l’on ne sache pas du tout comment était ce temple, il est peu décrit dans la Bible. Y est écrit qu’il faisait “30 coudées”. Si on choisit le style égyptisant c’est aussi parce que l’Égypte ancienne est antérieure au christiannisme et donc qu’elle la précède comme civilisation…
Faire référence à Salomon, c’est aussi faire référence à la sagesse qu’on lui attribue. Salomon c’est donc un roi qui a existé historiquement, et qui a édifié en 963 avant J.-C. un temple à un dieu unique. Le local où les maçons se réunissent porte ce nom de temple, bien qu’on n’y mène pas de culte. Précisons que le Temple de Salomon a été construit par l’architecte Iram, dont l’histoire très symbolique est ici représentée dans le temple de la rue du Persil.
Que nous disent les peintures et décor du temple, à commencer par ces représentations dudit Iram ?
Ces peintures ont été réalisées par le peintre Louis Delbec, sous la direction de Jan Verhas, qui était franc-maçon. On y lit la construction du temple de Salomon, ainsi que ce qu’on appelle La passion d’Iram, architecte qu’on dit à l’origine du temple biblique.

Vous dites que la franc-maçonnerie cherche à se départir de son lien avec la religion, et, pourtant, dans cette représentation, on n’est pas loin du chemin de croix ?
Tout à fait, et ce sont des débats entre nous d’ailleurs. On dit qu’Iram est assassiné par trois mauvais compagnons et qu’ensuite, il est “relevé”. On peut dire ici que la franc-maçonnerie a une symbolique judéo-chrétienne, même si nous sommes grecs et laïcs par notre humanisme. Mais attention, il ne faut jamais oublier que la franc-maçonnerie naît dans un monde chrétien. Et un système symbolique ne se crée pas exnihilo. Les francs-maçons vont se saisir des référents qu’ils connaissent.

Enfin, on précisera que, pour nous francs-maçons, la symbolique, quand elle est analysée, ne fait pas forcément référence aux religions, elle intervient comme un support de réflexion. C'est pour cela que La passion d'Iram, ce n'est pas La passion de Jésus-Christ, car il n'est pas question de résurrection. La franc-maçonnerie est d'abord une méthode d'accès à la connaissance. C'est le fameux "Connais-toi toi-même, et tu connaîtras le monde et les dieux". Le temple, dans son decorum symbolique, doit soutenir la réflexion maçonnique à caractère philosophique et métaphysique.
Le 19 mai, à 13h45, La Libre Explore vous propose d'assister, au cœur d'un temple maçonnique, à une rencontre-débat avec des francs-maçons. Seront présents un représentant du Grand Orient de Belgique, de la Fédération Mixte du Droit Humain, de la Grande Loge de Belgique, et la Grande Loge Féminine de Belgique, qui répondront aux questions des lecteurs de La Libre. L'idée ? Évoquer les questions d'actualité et de société, de manière ouverte. Rendez-vous dans un autre temple égyptisant, situé rue de Laeken, 79, à 1000 Bruxelles.
Infos et rés. : https://www.eventbrite.be
Définition express, par Alain Jurisse. “Un jour, j’ai dû résumer pour RTL, la franc-maçonnerie, en 12 secondes, et voilà ce que ça donne : “Dans la franc-maçonnerie, il y a “maçonnerie”, qui signifie construire. La franc-maçonnerie construit l’individu par une réflexion personnelle et pour une société meilleure. Et pour construire une société meilleure, on a besoin de toutes sortes d’opinions. La confrontation des opinions est le seul moyen de progresser, à titre individuel et à titre collectif. Donc, en franc-maçonnerie, pas de clergé, pas de pensée unique, pas de grands gourous. Les fonctions sont électives et limitées, dans le temps. Et vous les exercez avec vos qualités à vous”.