Le corps, lieu du rituel et de la métamorphose
L’édition 2022 du Kunstenfestival a débuté en force avec François Chaignaud et Monteiro Freitas.
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- Publié le 08-05-2022 à 09h17
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En 2017, François Chaignaud créait au Festival d'Avignon Romances inciertos. Un choc. La musique comme la danse y puisaient dans l'histoire même de l'Espagne baroque, souffrante et extatique. Si le principe pouvait être dans l'excès, la réalisation était au contraire dans une retenue toute de beauté singulière et de grande sensualité.
Au départ danseur et chorégraphe, Chaignaud est devenu aussi musicien et chanteur. Au Kunsten 2019, il fascinait à nouveau avec un mémorable spectacle dans la chapelle des Brigittines autour des chants polyphoniques d’Hildegard von Bingen.
Ce week-end, il ouvrait l'édition 2022 du Kunsten avec Tumulus consacré à nouveau aux chants polyphoniques. Avec Geoffroy Jourdain (Les Cris de Paris), il s'est emparé de chants polyphoniques divers depuis ceux de Josquin Desprez (1450-1531) jusqu'à des chants du XXe siècle (Claude Vivier) et a préparé ce spectacle de chant-danse durant 3 ans avec 13 interprètes qui, tous, dansent et chantent parfaitement (ils n'ont que leur voix et leur corps, pas d'instruments).
Un grand tumulus couvre la scène du Kaaitheater, surmontant des tombes. Le cortège des interprètes tourne lentement autour du lieu, l'escalade, y glisse ou se cache dedans. Tous sont somptueusement costumés. François Chaignaud propose un rituel venu de tous les âges: celtique, de Stonhenge, antique, tibétain (on entend le mantra Om mani padme um). Sans cesse, les processionnaires jouent de leurs vêtements colorés et sculpturaux, ou défilent avec des chapeaux construits comme des monuments. Ce côté new age qui peut agacer, est adouci par l'osmose primitive que Chaignaud crée entre les chanteurs et la nature représentée par le tumulus qui semble avoir en lui un souffle, celui des morts ensevelis, comme celui des danseurs et qui est la pulsion du spectacle.
On suit cette pièce comme on suivrait un cortège devenu laïc à la semaine sainte à Séville ou comme Nietzsche scrutant les sommets de l'Engadine. Tumulus sera au Festival d'Avignon du 20 au 26 juillet.
Dans une boîte de Pandore
Auparavant, le public avait pu découvrir un détonnant solo de la chorégraphe Marlene Monteiro Freitas, dans un nouveau lieu face à Kanal, de l’autre côté du canal. Monteiro Freitas, c’est de la dynamite. Née au Cap Vert dans la ville de Cesaria Evora, Portugaise, elle aime le carnaval, se grimer, semer le trouble, les rituels de la métamorphose, de l'excès carnavalesque.
Formée à Parts, elle a toujours conservé son univers qui lui permet, à la manière d'un Bosch, de creuser au plus profond de l'intimité de la nature humaine. Elle offre des spectacles généreux, baroques et contemporains, mythologiques et pop. "J'aime les créatures hybrides", dit-elle.

Elle revient cette année au Kunsten avec Mal (au Varia). Et elle ouvrait le Kunsten, ce weekend, avec un solo inédit: idiota. On la découvre enfermée dans une boîte de verre, sa tête comme coupée, entièrement couverte de vert (le spectacle est en vert - l'espoir- et rouge, les couleurs du Portugal). Une vision choc.
Pendant plus d'1h15 (le spectacle est bien plus long qu'annoncé et comprend des longueurs inutiles), elle se meut dans cette "Boîte de Pandore",comme elle l'appelle, où tout est possible, du tragique au comique, du grotesque au plus émouvant.
Coiffée d’un chapeau de groom ou de soldat, elle se métamorphose sans cesse. Multipliant les expressions, tour à tour pseudo-débile ou déesse. Elle joue aussi de très belles musiques pour nous émouvoir et créer des images fortes de nos enfermements, de nos rituels du quotidien (laver, nettoyer), plaçant des chaussures à ses mains pour offrir la danse fragile d’un enfant, ou en jouant de ses mains devenues insectes sur la vitre qu’elle a léchée.
"Défigurer entraîne aussi la figuration de quelque chose d'autre", dit-elle. Elle peut "danser le visage", offrant une galerie hallucinante de grimaces et de déformations où tout devient possible.
Le Kaai est le centre nerveux de ce Festival. Il fermera ensuite en juin pour de longs travaux mais sera alors hébergé dans d’autres salles bruxelloises.
Infos: kfda.be , jusqu’au 28 mai