Le meilleur Folon enchante le Vatican
Jean-Michel Folon a longtemps bouleversé son monde, avec raison. Ses dessins à charge, avec humour et poésie, enchantent le Vatican.
Publié le 11-05-2022 à 15h19 - Mis à jour le 11-05-2022 à 15h31
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L’exposition déroule ses fastes sur deux étages et, n’en déplaise aux grincheux, aux blasés, tient son rang entre les fresques de Raphaël et de Michel-Ange. Allez-y les yeux fermés… En ouvrant vos quinquets pour vous réjouir l’âme et les neurones !
Cette exposition temporaire au cœur des trésors du Vatican est une première et rien ne dit qu’elle sera suivie d’autres manifestations, la maintenance de salles qui vous font parcourir des kilomètres entre les ailes du palais pontifical n’étant pas du pain bénit.
Point de gardes pontificaux à travers ses couloirs et sa succession de chefs-d’œuvre d’une histoire de l’humanité passée au peigne fin, des premières tablettes d’écriture, des premières représentations divines, à Matisse ou Francis Bacon. On vous rassure, des centaines de gardiens veillent sur elles et sur vous !
Cette expo Folon est un privilège. Elle vous est offerte avec le billet d’entrée du plus couru des musées romains : plus de vingt mille visiteurs par jour !
Et elle remet bien des pendules à l’heure. Funeste conséquence de sa prodigalité, de sa générosité à nous surprendre par des tangentes qui le démangeaient, le charme et l’acuité de ses premières actions en faveur d’une humanité moins carnassière, d’une terre trop labourée d’incongruités, de sa rébellion envers des guerres sans aménité, la popularité de Folon (exposé dans les plus grands musées) a décru. À tort. À trop voir ses affiches, ses bonshommes volants, ses artifices récurrents, d’aucuns ont perdu le fil de ses trouvailles magnifiques.
C’était oublier que Jean-Michel Folon était une sorte d’archange face à la fatuité de tant de créations contemporaines, vidées de la poésie inhérente aux œuvres courageuses.
Le génie du trait
Le choix de 80 pièces à conviction ne fut pas tâche aisée, tant l’artiste n’aura cessé de dessiner, comme il le faisait tout enfant, ses pages blanches se remplissant de songes, de rêveries, de poèmes à l’encre du mystère. Avec, au bout de la plume, du pinceau, le bonheur de l’invention. Il fut proche parent de Toni Ungerer (actuellement en démonstration à la Fondation Folon, à La Hulpe), de Jean-Jacques Sempé, des artistes commis par leurs gestes à la sauvegarde de la planète et des humains qui tentent de s’y sauver la peau.
Le grand Folon resurgit dès lors à temps et heure, au bonheur des dames et de tous, grâce à un florilège qui épouse à ravir les salles dévolues à sa contemplation de la vie telle qu’il la voyait se flétrir, la rêvant différente.
Deux étages pour un Folon qui multiplie les thèmes essentiels. Il fut un éclaireur avant l’heure des fatalismes. Un allumeur de réverbère soucieux de partager ses angoisses en quelques traits, de savantes touches de couleur entre les lignes.
Le premier palier, qu’on gagne après avoir fait un sort - pur bonheur là aussi - à cette célèbre Sixtine d’un Michel-Ange au sommet de son art, est divisé - astuce réussie du designer - en cellules corsées de couleurs tranchées (bleu, vert tendre, vert bouteille, rouge, rose), les plafonds s’ornant, pour leur part, de fresques anciennes. Les thèmes s’y entrechoquent sans chronologie mais avec l’astuce de mises au parfum chargées de sentences.
"L’homme et la ville", "L’homme et la nature", "L’homme et la guerre", "La Déclaration universelle des droits de l’homme"… Folon tranche dans le vif de nos dépravations. Critique, il n’est jamais sentencieux. Il accuse en poète, en funambule sur son fil qui voit de loin quel avenir se trame sous nos pas irrespectueux… Sous les pas de ceux qui nous dirigent et inventent des villes tentaculaires, inhumaines. Qui, irrespectueux, tranchent des arbres à vif, fomentent des guerres de mensonges, de massacres.
Les dessins au trait, les aquarelles aux couleurs transparentes, légères, proverbiales, alimentent les cimaises de perles suggestives. De mises en abîme qui, si elles nous réjouissent ainsi décrites, nous plongent dans l’angoisse d’avenirs incertains.
Labyrinthique
Ses dessins fourmillent de vérités, rarement bonnes à entendre, indispensables à l’homme comme l’eau et le pain. L’aspect labyrinthique de quelques-uns d’entre eux fait frémir sous l’astuce qui décape la réalité. Il nous saisit le bras, l’âme et tout ce que nous sommes (ou ne sommes pas) pour nous éveiller la conscience. Souvent sans titre, ni date (années 60, 70, 80), ils parlent de soi, si l’on n’est ni aveugle, ni sourd.
Tel habitat tentaculaire, échafaudage de télés et de téléphones semble prédire, par l'absurde, la folie du portable qui nous agresse un demi-siècle plus tard. Visionnaire sur sa planète (On pense au Petit Prince de Saint-Ex), Folon décrit, suppute, en artificier de la ligne carnassière, un monde qui n'est déjà plus que flèches, panneaux directionnels, champs dévastés…
Partir, mais partir où et pourquoi quand votre souci d'évasion se heurte au bateau de briques sur une mer de sable ? Folon trouble notre perception par l'habileté de mises en apnée. Tant de forêts, de 1979 : une forêt d'arbres tranchés à la base. Trouble profond, une aquarelle délicate de 1987 avec un arc-en-ciel sur un univers de torpilles.
Bon nombre d’inédits. Ces dessins et aquarelles resurgissent au grand jour, nous rappellent que Jean-Michel Folon était ce poète, parfois surréaliste, qui savait tutoyer la réalité, sourires et tristesses sous cape.
L’homme et la guerre
Il n'eut pas peur, en 1968, de fustiger un Nixon dont les dents étaient faites d'hommes criant leur détresse et, dans Le festin, il parodiait l'homme qui se gave de bombes. La cellule consacrée à L'homme et la guerre afflige à bon escient. Elle nous renvoie à nos inquiétudes actuelles. On y voit cette Danse de mort d'un mort debout dont les décorations sont des torpilles.
Jean-Michel Folon a éclairé de ses images La Déclaration universelle des droits de l'homme. Il ne l'a pas illustrée. Fait de l'artiste responsable, il l'a complétée de traits astucieux, comme il l'a fait avec tant d'ouvrages de poètes qu'il enlumina. Un cabinet de photos avec ses amis (César, Adami, Woody Allen, Cartier-Bresson, Fellini, d'autres aussi) nous le rend heureusement vivant.
À l'étage, rendez-vous avec les messages d'espoir d'un être sensible, généreusement humain. Un être en constant dialogue avec nous tous. Une salle pérennise cet appel au Fond du ciel, au Dialogue, ravive L'aube et son œil-soleil sous le chapeau qu'il portait avec aisance.
Une sculpture, L'ange gardien (2005) et Seul (1987), une grande aquarelle, prouesse d'équilibre, rappellent avec Le secret, bronze de 1999, que Jean-Michel Folon fut un phare en son domaine choisi, que ce trésor lui survit. Une donation de la Fondation au Musée du Vatican y pérennisera cet apport si délicat. Celui qui, pour sa femme italienne et ses amis, signait dessins et missives d'un Michelangelo mi-coquin, mi-complice, peut dormir sur ses deux oreilles. Son message à l'univers n'a pas fini de devoir être entendu.
Folon, L'etica della poesia Art contemporain Où Musei Vaticani - Collection d'Art moderne et contemporain www.museivaticani.va Quand Jusqu'au 27 août, du lundi au samedi, de 9 à 18 heures (dernière entrée à 16 heures). Fermé le dimanche et les jours fériés.

Catalogue (en italien ou en anglais), 160 pages en couleurs, textes de Stéphanie Angelroth, Micol Forti, Marilena Pasquali. Coédition Musei Vaticani&Fondation Folon. Prix : 30 euros.