Bienvenue dans le grand cirque de la vie
Une double exposition à Namur montre comment le monde du cirque a toujours intéressé les artistes.
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- Publié le 30-05-2022 à 13h37
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Les artistes ont toujours eu un lien avec le monde du cirque, fascinés par la liberté, les couleurs, l'audace et la mélancolie qu'ils y trouvent. On peut penser à Picasso et sa période rose comme à Seurat ou Degas.
Le musée Rops à Namur se devait d'évoquer ce thème car les coulisses du cirque ont toujours passionné Félicien Rops (1833-1898) qui écrivait : "Las des p édants de Salamanque et de l'école aux noirs gredins, je vais me faire Saltimbanque et vivre avec les baladins. Que la bise des nuits flagelle la tente o ù j' irai bivouaquant mais que le maillot o ù je g èle soit fait de pourpre et de clinquant ." Ou encore plaçant le cirque au sommet des arts : "La peinture ne vaut pas le chausson, ni la boxe, ni le trapèze."
Une double et belle exposition, The Circus we are, au musée Rops et au Delta, étudie ce lien vu par des artistes du XIXe au XXIe siècle.
La commissaire de cette exposition, Joanna De Vos, était la personne idéale, car c'est dans l'histoire de sa propre famille qu'elle a retrouvé ce lien avec un arrière-grand-père, Frans De Vos qui était à la fois artiste et directeur de cirque. À l'espace culturel Le Delta, on montre deux grandes toiles de façade peintes par Frans De Vos dans les années 1920 pour le cirque Minnaert. Le musée Rops montre bien sûr quelques formidables dessins de Félicien Rops sur les coulisses du cirque, mais aussi les peintures et dessins d'autres artistes du XIXe, comme une très belle encre de Gustave Doré.
Certes, le monde du cirque était celui de l'extraordinaire, du merveilleux, des animaux exotiques, mais il était aussi un monde alternatif qui mettait à mal l'honorabilité bourgeoise, se plaçait hors des normes de la société bien-pensante. Un monde qui, loin des projecteurs, pouvait être aussi proche de la tragédie. Rien n'est plus triste qu'un clown triste.
Rops aimait les transgressions qui y étaient possibles et dessinait ainsi l'haltérophile Elisa Guël qui se produisait à la foire de Neuilly et proposait aux artistes de poser pour eux, nue, à l'entraînement. Rops dessinait l'homme fatigué, mais consolé par la femme "sauvage" du cirque.
Derrière les rideaux
Un tableau fascinant de Ludwig Knaus (1880) montre ce qui se passe derrière les rideaux avec un vieux saltimbanque dans la misère, comme le voyait Baudelaire qui écrivait : "il ne riait pas le misérable ! Il ne pleurait pas, il ne dansait pas, il avait renoncé, il avait abdiqué. Sa destinée était faite." Baudelaire y voyait l'image même du "vieux poète sans amis dans un monde oublieux".
Au musée Rops et bien davantage au Delta, de nombreux artistes contemporains évoquent le cirque comme métaphore du monde et comme espace où une pensée critique peut se déployer. Une vidéo d'Hans Op De Beeck montre un carrousel vide tournant de plus en plus vite et à l'envers. À côté, Op De Beeck expose une danseuse de cabaret hyperréaliste, assise et mélancolique, mais totalement pigmentée de gris, comme saisie par une éruption. La fête est finie.
Le photographe néerlandais Erwin Olaf a travaillé le thème du clown triste pour exprimer le confinement et la pandémie. On le voit portant un bonnet pointu blanc, errant seul dans sa chambre ou dans les allées vides d'un supermarché. Il montre l'angoisse et l'impuissance qui régnaient alors.
Le cirque donne la liberté de rire de tout et de critiquer impunément tous les pouvoirs. On le voyait déjà avec les fous du roi ou lors des carnavals qui renversaient les rapports de force.
Au Delta, Kendell Geers invite les visiteurs à taper dans des ballons de foot ayant les traits de dirigeants de la planète ! L'artiste russe Uldus Bakhtiozina, dans une vidéo sur trois écrans, dénonce les méfaits de la révolution russe à la manière d'un grand cirque.
L'artiste français Fabien Mérelle a trouvé la forme adéquate pour montrer que nos vies à tous sont comme une attraction foraine, parfois palpitante, parfois pesante : un homme a la tête remplacée par un petit manège mécanique tournant sans arrêt.
Avec, entre autres aussi, Johan Muyle, Marie-Jo Lafontaine, Enrique Marty et bien d'autres. Une double exposition qui est autant un voyage dans la magie du cirque que dans le spectacle du monde qui nous entoure.
The Circus we are, au musée Rops et au Delta, à Namur jusqu’au 25 septembre.