Exposition avec lait maternel et champ de fleurs
Camille Henrot expose 40 sculptures dans le beau parc du Middelheim, un regard sur notre société.
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- Publié le 15-06-2022 à 12h19
- Mis à jour le 15-06-2022 à 12h20
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L'artiste invitée cet été dans le beau parc de sculptures du Middelheim près d’Anvers est Camille Henrot. Une exposition pour les jours de beau temps pour profiter aussi de la nature et des dizaines d’autres sculptures qui s’y trouvent.
Française née à Paris en 1978, elle vit et travaille à Berlin et New York depuis 2010. Elle avait fait une entrée fulgurante dans le monde de l'art en 2013 avec son film Grosse fatigue primé à Venise avec un Lion d'argent. Dans la foulée, elle occupait en 2016 les 6000 m2 du Palais de Tokyo, un défi un peu trop grand.
Camille Henrot est vidéaste, dessinatrice quasi compulsive et sculptrice. Elle a toujours eu un regard anthropologique aigu qui fait sa spécificité, nourri de nombreuses lectures et rencontres avec des philosophes, biologistes et historiens de l’art. Elle analyse les objets, les échanges culturels, les traces des mondes « étrangers » pour en faire des œuvres singulières à l’esthétique forte et reconnaissable malgré la diversité de son oeuvre.
Dans le parc du Middelheim, elle expose 40 sculptures, allant de 2011 à 2022. Uniquement des sculptures cette fois.

Elle les présente dans deux parties du parc : le pavillon Braem et la zone Hortiflora où elle a fait planter des milliers de fleurs sauvages qui forment un tapis mauve en cette fin de printemps. « A la place de sculptures qui dominent le paysage, je voulais qu'elles en deviennent des éléments. »
On retrouve ses séries successives : d’abord ses bronzes, comme des détournements d’Arp et Brancusi, avec leurs formes fluides, mutantes, éphémères, presque animales ou végétales. Elle a placé aussi deux grandes sculptures sur le chemin menant du pavillon Braem au jardin Hortiflora, au milieu des arbres.
Datant de 2019, l'une d'elles a une grande forme nébuleuse, presque en apesanteur posée sur deux pointes douces dirigées vers le haut. Camille Henrot a souvent expliqué comment ses sculptures sont inspirées de ses dessins, gardant « la liberté, la nonchalance, le souffle que peut avoir un croquis. »
Un tire-lait
Les séries pour le Palais de Tokyo étaient autant inspirées par les dessins animés que par les réflexions anthropologiques. On retrouve un peu de cet humour dans ses bronzes où un personnage schématisé est couché pieds en l’air, palmes aux pieds ou joue dans un bassin avec une balle à ses pieds. Un carrousel d’êtres étranges mi-animaux mi-hommes. Une manière pour elle de montrer notre aliénation, nos dépendances.

Cherchant sans cesse à renouveler l'art de la sculpture, sa dernière série qui donne son titre à l'expo Wet Job, a un sujet rarissime dans l'art : l'allaitement, le tire-lait, la maternité et ses corollaires du repassage et de la lessive (elle a créé une fontaine en activité sous la forme d'une chemise de bronze séchant sur une corde !).
Quand l’art évoque l’allaitement c’est pour le glorifier (la Vierge à l’enfant). Camille Henrot qui fut enceinte durant le confinement en montre aussi l’autre côté : la société qui tire notre lait, qui impose le tire-lait pour amener les mères à plus vite retravailler.
Dans le pavillon Braem, elle montre dans End of me, deux seins avec un tire-lait. Plus loin, une planche à repasser avec un drap blanc comme le lait maternel. Un regard surprenant pour une sculpture, mais rafraîchissant, rappelant par certains côtés Louise Bourgeois. « J'aime à penser, dit-elle, à l'allaitement dans son rapport à la dette. En fin de compte, nous sommes endettés envers nos mères. En termes industriels, le lait maternel est une ressource extractible qu'un être humain vole à un autre. En termes psychanalytiques, j'ai commencé à penser que cette dette fondamentale que nous devons tous à nos mères pourrait être responsable du préjudice qui règne dans notre société à l'égard des femmes. Que le sentiment d'être endetté engendre une sorte de mépris. »
La sculpture 3,2,1 (compte à rebours avant l'explosion), montre un très grand Phénix en bronze, à tête d'oiseau, une larme à l'oeil, avec des seins, surgissant des débris de son atelier. Une image (la larme) d'une dépression post partum, aussi bien qu'une interrogation sur ce qui va advenir de notre société bâtie sur l'accumulation de nos déchets.

Camille Henrot, parc Middelheim, jusqu’au 16 octobre, fermé le lundi, de 10 à 20h, entrée gratuite.