"En dilettante" : À Charleroi, une histoire passionnante de la photographie amateur au temps de l’argentique
- Publié le 17-06-2022 à 15h15
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La photographie et le souvenir intime ont une longue histoire en commun. Celle-ci commence au milieu du XIXe siècle avec l’avènement du portrait photo, cette image quelque peu guindée, réalisée par un professionnel, qui était censée assurer une postérité familiale, d’abord en trônant sur la cheminée, ensuite en rejoignant l’album de famille.
Cette histoire se poursuivit et s’intensifia de manière exponentielle dès 1888, lorsque photographier devint aussi simple que presser sur un bouton déclencheur. Dans les albums, la galerie de portraits figés céda la place à des images spontanées formant une chronique bien plus vivante des familles avec toute une gamme de moments plus ou moins forts, jugés néanmoins assez importants pour justifier la dépense d’une prise de vue. Cette nouvelle hiérarchie du souvenir - beaucoup plus affective - perdurera jusqu’au seuil de l’ère numérique, au début des années 2000.
Panorama
Depuis, la photographie s’est dématérialisée et la pratique amateur a cédé la place à l’amas compulsif sur téléphone portable d’images de plus en plus insignifiantes et dont les chances d’être vues par les générations suivantes s’amenuisent. C’est précisément ce constat qui a décidé Adeline Rossion, collaboratrice scientifique en charge de la collection au Musée de la Photographie de Charleroi, d’élaborer un panorama historique de la photo amateur, certes non exhaustif, mais reprenant ses grandes tendances. Cela nous vaut depuis ce week-end une exposition réalisée à partir des collections du Musée bien évidemment, mais aussi à partir des prêts splendides de la Conserverie - un lieu d’archives de photo vernaculaire à Metz - et du collectionneur Michel F. David.
Impressionniste
Intitulé "En dilettante", ce panorama s’ouvre sur un chapitre consacré aux photographies rondes des tout premiers Kodak, entre 1888 et 1889. Rondes semble-t-il parce que Georges Eastman, le fondateur de Kodak, craignit que sa clientèle par définition inexpérimentée n’ait pas le sens de l’horizontalité, ce qui pouvait être simplement corrigé en pivotant l’image sphérique. Le parcours continue avec "l’Autochrome", procédé d’image en couleur diapositive inventé et mis sur le marché dès 1905 par les frères Lumière. Où l’on voit la photo prendre des airs de peinture impressionniste, d’abord parce que son aspect granulé rappelle le pointillisme ; ensuite parce que la vie de famille aisée de la Belle Époque qu’on y retrouve le plus souvent - seuls les plus riches s’achetaient ces films en couleur cinq fois plus cher que ceux en noir et blanc - relève de la même idéalisation d’un art de vivre affichée dans nombre de peintures de ce mouvement.
Cette proximité avec la peinture traverse d’ailleurs une grande part de l’exposition et ce n’est pas étonnant. D’abord parce que les références esthétiques des photographes amateurs "avertis" (ceux qui avaient quelques prétentions artistiques) étaient celles, forcément picturales, que conférait a minima une petite culture générale de classe sociale privilégiée. C’est ce qui transparaît clairement de la partie consacrée à l’Association belge de photographie fondée en 1874 et qui compta des dilettantes cultivés tels Raphaël de Sélys Longchamps ou Adolphe Lacomblé. Ensuite parce que les artistes et en particulier les peintres eux-mêmes s’adonnèrent à la photographie ou se réservèrent les services de photographes comme on le découvre dans un chapitre avec des images d’Emile Fabry, Hernri Evenepoel et Jacques de Lalaing.
Disparition
Ceci dit, on se rend compte dans cette belle exposition - et c’est son grand mérite - que la photo amateur, même anonyme, est bien plus touchante lorsqu’elle est naïve ou en tout cas délestée de toute prétention artistique. On s’y régale des "petites histoires de la photographie familiale". Les albums réalisés durant la guerre par exemple sont tout à fait passionnants et les différentes séries où l’on sent la volonté de retenir le (bon) temps achèvent de convaincre que la disparition de l’album de famille à notre époque du numérique relève d’un changement de paradigme tant pour la représentation de l’intime que pour la mémoire familiale.
En dilettante. Histoires et petites histoires de la photographie amateur Photographies Où Musée de la Photographie, 11, avenue Paul Pastur, 6032 Charleroi. www.museephoto.be Quand Jusqu'au 18 septembre 2022, du mardi au dimanche, de 10h à 18h.

Catalogue, coédité par les Éditions du Caïd et le Musée de la Photographie, textes de Michel F. David, Anne Delrez et Adeline Rossion, 400 p., 300 photographies, 55 €