Lausanne se dote d’un riche "Quartier des arts"
Trois musées se sont regroupés dans deux bâtiments tout neufs à côté de la gare. Pour fêter cette ouverture, ils présentent tous les trois de magnifiques expositions autour de l’imaginaire du train.
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- Publié le 17-06-2022 à 16h38
- Mis à jour le 07-07-2022 à 15h03
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Ce jeudi, a été inauguré un impressionnant Quartier des musées à Lausanne, juste à côté de la gare. Appelé Plateforme 10 (comme le dixième quai de la gare), il regroupe trois musées dans deux bâtiments contemporains: le musée des Beaux-Arts (MCBA), le musée de la photographie (Photo Elysée) et le musée du design (Mudac).
L’ensemble forme un pôle culturel neuf aisément accessible, devenant une destination majeure pour les touristes de passage en Suisse.
C’est l’aboutissement d’une idée ambitieuse née il y a dix ans. Ces trois musées dépendant du canton de Vaud occupaient des locaux trop petits et trop vieux. Pourquoi ne pas alors les regrouper dans des bâtiments neufs à l’architecture résolument contemporaine ? Et créer une synergie qui multipliera le nombre de visiteurs invités à découvrir les trois musées à la fois qui offrent 6300 mètres carrés d’exposition (deux fois et demie leurs anciennes surfaces cumulées).
Chaque musée a son histoire propre. Celui des Beaux-Arts date d'il y a 181 ans et est riche de 11000 oeuvres, Photo Elysée, créé en 1985, possède 200000 tirages et un million d'items en collection. Le musée du design est le plus récent, créé en 2000.
Plateforme 10 est installé sur la place d'une ancienne halle aux locomotives et occupe une surface totale, grande comme cinq terrains de football.
Black and White
En octobre 2019, fut déjà inauguré le MCBA, grand parallélépipède de 145 m de long et 22 m de haut, des architectes de Barcelone EBV (Estudio Barozzi Veiga). Avec 3200 m2 d’exposition, il est très vaste. D’un coût de 84 millions d’euros. Au milieu de la façade avec son strict alignement de colonnes de briques (700000 briques), on entre par un hall monumental de 18 m de haut donnant sur une grande verrière avec vue sur la gare, dernier vestige de l’ancienne halle.
Au milieu a été placé l'arbre de 15 m de haut de Giuseppe Penone Luce e Ombra, arbre de bronze aux feuilles d'or. Ce musée a déjà présenté depuis son ouverture, de fort belles expos comme fin 2021, une grande rétrospective Francis Alÿs.

Le second musée d'un coût de construction de 102 millions d'euros vient d'être achevé et s'ouvre au public ce week-end du 18 juin. Il vient fermer la place de Plateforme 10 en faisant angle avec le MCBA. Conçu par les architectes portugais Manuel et Francisco Mateus, sur une base carrée de 42 m de côté, il est d'aspect plus léger, et présente sur ses façades une balafre en zigzag, comme un sourire faisant rentrer la lumière.
Il abrite les musées de Photo Elysée et le Mudac. Les architectes ont trouvé une solution claire pour séparer nettement les deux musées et leurs exigences opposées.
Photo Elysée qui demande à être protégé de la lumière trop forte, est en sous-sol et éclairé par des patios. C'est une Black Box. Le musée du design par contre, est une White Box. Il cherche la lumière et est à l'étage, totalement éclairé par un plafond translucide amenant la lumière naturelle et par des ouvertures donnant sur les voies de la gare.
Mutualiser
Les deux musées sont physiquement séparés. Le Mudac repose sur Photo Elysée par trois piliers seulement, utilisant les technologies des ponts. L'espace entre les deux musées, en béton lisse et blanc, plein d'angles surprenants, est comme ouvert sur l'extérieur. Il est utilisé pour des services annexes (accueil, cafétéria, shop, …). Les services administratifs et techniques ont été placés dans un autre bâtiment.
L'esplanade comprend encore des restaurants, cafés, boutiques et parfois des spectacles. Pour l'instant, elle est encore minérale mais il est prévu d'y planter herbes et arbres. L'entrée vers la plate-forme est encore aussi gâchée par les travaux effectués à la gare, mais le visiteur entre très vite dans ce Quartier des musées.
A l'heure où on parle en Belgique, de synergies entre les musées fédéraux, il est intéressant de suivre ce qui se passe à Lausanne. Les trois musées gardent leurs politiques artistiques et leurs directions spécifiques (par hasard, les trois directeurs changent cette année), mais sont « chapeautés » par un directeur de Plateforme 10, Patrick Gyger qui dirigea durant dix ans le Lieu unique à Nantes. Les trois musées ont mutualisé leurs services annexes, y compris la recherche de sponsors et se partagent un budget annuel de 27 millions d'euros.


Le train réveille tous les imaginaires
Pour montrer toutes les synergies artistiques possibles entre les trois musées, Plateforme 10 a choisi un sujet évident, les trains, et un titre multilingue, Train, Zug, Treno, Tren. Les Suisses ont toujours été fascinés par les chemins de fer y voyant l'origine et l'outil de leur cohésion nationale.
Chaque musée, en plus de présenter ses collections, décline le sujet à sa manière mais profite des deux autres pour mélanger les médias.
Après un bel Europalia belge consacré aux chemins de fer, ces expositions à Lausanne ne font nullement double emploi et viennent richement compléter ce qu’on a pu voir en Belgique.
Le musée des Beaux-Arts présente un superbe ensemble de 60 tableaux sur les Voyages imaginaires. On y retrouve la fascination pour le train et sa modernité des futuristes italiens mais aussi une série de rares tableaux de Giorgio De Chirico avec leur étrangeté et leurs grands espaces vides de toute présence, où tout semble immobilisé, mais où on retrouve un train ou son ombre. On évoque aussi son influence sur Magritte.
Le musée accorde toute une salle aux tableaux de Paul Delvaux, qui viennent montrer la solitude dans des gares la nuit, peuplées de figures immobiles. Son tableau Solitude (1955) prêté par la Communauté française fait d'ailleurs la couverture du catalogue. Dans L'âge de fer, Delvaux peint une femme nue allongée dans une gare, la nouvelle Olympia du monde industriel et mécaniste, avec des plumes à son chapeau évoquant la fumée des locomotives.
Focus Edward Hopper
L’exposition fait la part belle au grand peintre américain Edward Hopper avec plusieurs tableaux et dessins venus des Etats-Unis. On y voit comment le train modèle le paysage des campagnes et des villes, mais ne réunit jamais les gens. Les beaux tableaux restent ceux de la solitude et de la non-communication.
On s'amuse à suivre la section consacrée aux « fantasmes noirs ». Freud a expliqué que dans les rêves de ses patients, le train revenait le plus souvent. Max Ernst dans ses cahiers-collages imagine toutes les horreurs ou les délices qui peuvent survenir dans des compartiments de trains qu'on ne pouvait alors ouvrir qu'aux gares : voyageurs à têtes de fauves, femmes ligotées, tout était possible dans l'imaginaire. Un film savoureux de Georges Méliès imaginait déjà un tunnel sous la Manche mais avec, au milieu, un accident entre les trains.

L'expo Destins croisés au Photo Elysée, avec 350 pièces exposées, est spécialement riche et dense. Elle propose autant de tableaux, films et objets que de photographies, démontrant l'essor croisé de la photographie et du cinéma avec celle des avant-gardes.
On y voit le chef-d’oeuvre de Caillebotte, Le Pont de l’Europe, un Picasso avec ses enfants jouant au train, des dessins de Warhol ou Klee, des films historiques des Frères Lumière, de Méliès, Fritz Lang et Chaplin.
L’expo se décline en quinze chapitres qui font dialoguer tous les arts avec les plus grands photographes, de Cartier-Bresson à Nan Goldin, mais aussi les photographies prises par Ella Maillart et Nicolas Bouvier durant leurs expéditions.
Tous les aspects sont évoqués, depuis la glorification du train, jusqu’à la solitude des voyageurs, les rencontres dans les gares ou l’horreur de la Déportation.
L'expo au Mudac est très ludique. A nouveau , elle mêle au design, les autres médias avec des œuvres de Sophie Calle, Christian Boltanski, Chris Burden, Christian Boltanski, Marina Abramovic ou Takis. Le thème est Rencontrons-nous à la gare. Des photos amusantes de Jonathan Monk accompagnent le parcours. On le voit attendant des visiteurs à la gare avec un panneau portant des noms comme Freud, Elvis ou Al Capone.
On y retrouve les affiches et les jeux ferroviaires de notre enfance. Et nombre d’objets aussi étonnants que cette table imaginée par les Belges de Studio Job avec comme socle, deux trains entrant en collision !

Expositions jusqu’au 25 septembre. Ouverts de 10h à 18h (20 h le jeudi). Attention, le musée des Beaux-Arts ferme le lundi, les deux autres ferment le mardi