L’univers puissant, poétique et politique d’Otobong Nkanga
La splendide exposition Otobong Nkanga à Bruges, est une de plus belles à visiter cet été.
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- Publié le 26-06-2022 à 09h59
- Mis à jour le 26-06-2022 à 12h21
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Dès qu’on quitte les rues agitée de la Venise du Nord pour entrer dans l’hôpital Saint-Jean, un des plus anciens du monde, tenu jadis par des soeurs augustines, on découvre un autre monde.
L’artiste, née à Kano au Nigéria en 1974, qui vit et travaille à Anvers, a totalement transformé les salles gothiques pour dessiner un paysage de pierres blanches (50 tonnes de galets en marbre de Carrare), à travers lequel le visiteur déambule, lieu propice à la méditation, à la réflexion sur nos vies, sur notre fragile environnement, sur notre lien à la terre et à nos origines.
Elle a disposé à l’horizontale des « tapis guérisseurs » qui ont la forme de minéraux aux vertus thérapeutiques. Ils sont prolongés par des objets en verre soufflé ou sculptés dans le bois, réalisés par des artisans de Bruges, et remplis de matières odorantes, d’huiles essentielles, et de sons. Objets eux-mêmes reliés par des riches cordes tressées qui symbolisent tous les liens ente nous, et avec la nature. Une invitation à nous reconnecter au sol.

Après avoir grandi au Nigéria, non sans y connaître les affres de la violence, et après avoir étudié l’art à l’université d’Ile-Ife, elle est partie à Paris avec sa mère pour étudier à l’école des Beaux-Arts avec Giuseppe Penone comme professeur. Elle a continué à se former à la Rijksacademie d’Amsterdam. Ces derniers années, recevant de multiples prix, elle a été invitée par les biennales du monde entier, de Venise à la Documenta, de Lyon à Chardja, aux Emirats arabes unis. Les grands musées se l’arrachent. Sa récente exposition à la kunsthalle de Bregenz fut mémorable.
Pour Bruges, elle s’est longuement imprégnée de la ville, de son histoire et du passé de l’hôpital Saint-Jean. Dans son parcours, elle rappelle ce passé avec une vue sur le sous-sol couvert de médailles de la Vierge et elle a mis en évidence des tombes de ces anciennes religieuses infirmières en leur offrant, en hommage, des couronnes de fleurs.
Hommage à Memling
Otobong Nkanga se relie aussi à la peinture de Memling dont le musée conserve six chefs-d’oeuvre dont la châsse de Sainte Ursule. Cette exposition est aussi une manière de revisiter les trésors du musée et d’en découvrir des nouveaux, depuis les reliques de Sainte Ursule jusqu’au tableau de Jan Beerblock montrant la vie de l’hôpital.
Otobong Nkanga parvient toujours à relier la douceur, la poésie, l’attention (le « care » comme celui des anciennes religieuses) à des sujets bien plus politiques comme le pillage des matières premières en Afrique, l’histoire de l’esclavage et les défis environnementaux.
Tout autour de la grande salle, elle a placé 60 m de rideaux rappelant ceux qui séparaient jadis les lits des malades et a peint dessus, plusieurs très belles figures exprimant ce lien au sol, au territoire, à la nature comme force de régénération, telle cette femme portant des arachides géantes tandis que ses pieds s’enfoncent dans le sol.
Le plus frappant, ce sont ses grandes tapisseries virtuoses réalisés selon ses dessins par le musée du textile de Tilburg. Avec des techniques de tissage sophistiquées, sur ordinateur, elle parvient à donner à ses tapisseries du relief et des éclats colorés iridescents.

Unearthed-Sunlight (2021), est comme un jardin illuminé, aux fleurs, plantes et ciel orangés. Elle y mêle même de vraies plantes. Une vision du grand cycle de l’environnement, du sol à la vie. Enfant, à Lagos, Otobong Nkanga avait un potager. Elle se protégeait du soleil sous les manguiers, savait reconnaître les plantes.
Sa tapisserie After We Are Gone (2021) montre une grande fleur qui surgit d’un environnement dévasté.

Les esclaves noyés
Longue de 6 m et haute de 3,5 m, Tied to the Other Side, où le bleu domine, nous plonge au fond de la mer, avec ses plantes remontant vers l’air libre. Avec aussi, des membres humains, ceux des esclaves morts en mer, noyés lors de leur transfert vers l’Amérique. La tapisserie est placée à côté d’un tableau du 16e siècle avec une leçon d’anatomie à Bruges.
A l’étage, dans l’immense grenier de l’hôpital, elle a réalisé une nouvelle version d’une ses sculptures les plus connues Anamnesis créée d’abord en 2015. Dans un grand mur de bois peint en blanc placé au centre de la pièce, elle a tracé un chemin, une veine, le cours d’un fleuve. Et elle a rempli cet espace de matières premières venues d’Afrique, collées sur du lin : café, cumin, myrrhe, poivre noir, encens. En s’approchant, on sent encore ces produits recherchés qui convergèrent jadis vers Bruges. Anamnesis symbolise la voracité toujours actuelle pour l’exploitation du sol africain.

Otobong Nkanga a placé en face, une série d’objets anciens venus des musées de Bruges, rappelant l’intérêt pour les plantes médicinales et les ex-voto. Une tapisserie de 1700, montre que ce commerce florissant allait de pair avec le trafic d’esclaves.
Une autre grande tapisserie Unearthed-Abyss montre à nouveau le fond de l’océan où parmi les plantes, les anémones de mer et les coraux, on distingue les corps des esclaves jetés à la mer, l’autre face du glorieux commerce de Bruges.
Otobong Nkanga, à l’ancien Hopital Saint-Jean, à Bruges, jusqu’au 25 septembre