Joan Mitchell : “Il y a de la tristesse en plein soleil, pour moi, le jaune n’est pas forcément gai”
Les peintres Claude Monet et Joan Mitchell dialoguent à la Fondation Vuitton. La foule des visiteurs captifs démontre le pouvoir de la peinture.
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Publié le 30-01-2023 à 13h22 - Mis à jour le 30-01-2023 à 13h23
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Dimanche soir, à 18h30, la Fondation Vuitton ne désemplit pas. Le duo exposé sur les hauts murs du bâtiment imaginé par Franck Gehry a de quoi attirer les foules : il s’agit de Claude Monet (1840-1926) et Joan Mitchell (1925-1992). Parité et célébrité. Un peintre, une peintre.
Un peintre français notoire. Son Impression Soleil Levant, de 1872 secoue un critique d’art qui inventera le mot, “impressionnisme”, pour décrire une peinture qui parle aux sens, et qui, depuis, est passé au rang d’un art ultra-convoité, faisant bondir les prix du marché. L’homme des Nymphéas, l’amoureux de son jardin de Giverny, l’ami du président Clémenceau. Grande barbe et cigarette au bec accompagnent, sur ses portraits en noir et blanc, le peintre à la palette, debout, ancré, en costumes trois-pièces. La photo portrait est alors l’occasion d’une pause qui interrompt la seule action qui mérite de l’ouvrage, la peinture.

Face à lui, une Américaine, née l’année précédant sa disparition à lui. Ils ne sont donc pas contemporains. Tenante de l’expressionnisme abstrait, Joan Mitchell est sportive, et excelle en patinage artistique. Elle s’attache à la France, en même temps qu’à un Français, le peintre et sculpteur Jean-Paul Riopelle. Et elle y reste, malgré la rupture. S’installe – par hasard ? – dans le paysage verdoyant, déjà si cher à Monet. La maison de Joan Mitchell surplombe alors la demeure où Monet vécut, de 1878 à 1881. Cette grande amoureuse au casque de cheveux noirs, fragilisée par les séparations et les deuils en pagaille, peint, quant à elle, à grands coups de pinceaux et de matières, des formats formidables, parfois grimpée sur un petit escabeau.

Observer une conversation
C’est la rencontre de ces deux artistes qu’a provoquée la fondation Vuitton. Un rapprochement stylistique qui avait déjà été proposé par la critique à la fin des années 50. Le mouvement de l’expressionnisme abstrait (représenté par Pollock, Rothko ou de Kooning, et vite, Mitchell elle-même), est alors en pleine explosion aux États-Unis. On lui cherche exégèse. Les experts du monde de l’art, dont le rédacteur en chef de ARTnews, Thomas B. Hess, soulignent les parentés entre les artistes de ce courant et Monet. Tandis que le critique d’art Clement Greenberg fait de l’inventeur de l’impressionnisme l’une des figures de l’art du XXe siècle ! Monet superstar.

Ses œuvres sont acquises par les musées américains, et notamment Les Nymphéas, que Joan Mitchell voit à New York, au Moma. En 1975, elle indiquera dans un entretien à l’historien d’art Irving Sandler : “J’aime le dernier Monet, pas celui des débuts”.
Et puis, il a cette géographie de cœur commune aux deux artistes. La sauvagerie verte qu’incarne le village de Vétheuil, dans le Val d’Oise, à quelques encâblures de la capitale, et que Monet et Mitchell ont choisi pour lieu de vie et paysage mental. Un panorama similaire, qui explique une palette de couleurs, aux troublantes ressemblances entre les deux artistes. Et pour cause, ils voyaient la même chose. Mitchell s’en explique, bien que se détachant de cette parenté avec le maître, qu’on lui affuble. “Le matin, surtout très tôt, quand je sors, c’est violet. Monet a déjà montré cela… Moi, quand je sors, c’est violet, je ne copie pas Monet.”

De fait, profondément, leurs démarches divergent. Et, si, tous deux sont dans la projection de leurs “impressions” (”feelings”, c’est le terme de Mitchell), Claude Monet peint le paysage et les ambiances de ce qu’il perçoit au-dehors. On dira d’ailleurs que sa cataracte aura joué dans sa représentation picturale, à la fin de sa vie. Joan Mitchell jette sur la toile le souvenir d’une expérience sensitive à gros coups de pinceaux.
« Ma peinture est abstraite, mais c'est aussi un paysage.
En 1982, alors qu’elle voyait s’ouvrir sa première rétrospective au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, sous le commissariat de Suzanne Pagé, elle proposait un éclairage de son œuvre à la directrice à la directrice du Musée d'Art Moderne – désormais à la tête de la Fondation Vuitton. “Il y a de la tristesse en plein soleil, comme il y a de la joie dans la pluie. Pour moi, le jaune n’est pas forcément gai”.
--> "Monet-Mitchell. Dialogue et Rétrospective". À la Fondation Vuitton, à Paris. Jusqu'au 27 février. Infos : www.fondationlouisvuitton.fr
Monet et Mitchell, biographies croisées
1840 : Naissance de Claude Monet, à Paris. “Le même jour que Rodin”, nous rappelle Sacha Guitry, dans une vidéo proposée dans l’expo.
1872 : Présentation d’Impression Soleil Levant, au salon des Indépendants, à Paris.
1878-1881 : Claude Monet réside à Vétheuil.
1925 Naissance de Joan Mitchell à Chicago.
1926 : Mort de Claude Monet à Giverny.
1933 : L’Art Institute de Chicago acquiert Les Nymphéas
1955 : Première acquisition des Nymphéas, par le Moma, qui Mitchell découvre dans le musée new-yorkais.
1968 : Mitchell s’installe à Vétheuil, propriété surplombant la maison de Monet.
1975 : Visite de Joan Mitchell à la maison de Monet.
1992 : Mort de Joan Mitchell. La même année, expo intitulée “Les Nymphéas, avant-après”, à l’Orangerie, à Paris. On y découvre à côté de Claude Monet la toile de Joan Mitchell La Grande Vallée, qui représente les paysages de Vétheuil, qu’ils avaient en commun.
