Hilma af Klint, l’inconnue devenue icône, inventrice de l’abstraction
Bozar présente dans son exposition "Swedish Ecstasy", une large sélection des œuvres d’Hilma af Klint.
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Publié le 17-02-2023 à 10h19 - Mis à jour le 17-02-2023 à 11h48
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C’est un événement ! Pour la première fois, on peut voir à Bruxelles – et c’est à Bozar- un ensemble majeur de peintures d’Hilma af Klint (1862-1944). Toute une salle lui est consacrée avec de grandes peintures, très colorées, couvertes de motifs géométriques et symboliques, disposées en belle osmose avec l’architecture Horta du Palais des Beaux-Arts.
L’histoire d’Hilma af Klint est exceptionnelle. Son œuvre n’a été découverte qu’en 1986, 42 ans après sa mort, avec une exposition au Lacma (Los Angeles County Museum of Art) qui la révèle au public.
Depuis, elle est présentée comme une artiste visionnaire qui a anticipé l’abstraction dans l’art, l’“inventant” avant Mondrian et Kandinsky. Bozar a le chic, pour cette expo intitulée Swedish Ecstasy, de passer avant la Tate Modern de Londres qui ouvre le 20 avril prochain une expo confrontant Hilma af Klint à Mondrian.
Sa rétrospective au Guggenheim de New York en 2018 fut le plus grand succès populaire de l’histoire du musée (plus d’un million de visiteurs), un triomphe dépassant les scores des plus grands noms comme Giacometti, un signe aussi de l’intérêt actuel, dans une partie du public, pour le mysticisme, l’ésotérisme, l’art outsider. De plus, découvrir une peintre majeure, femme et inconnue, avait de quoi exciter l’intérêt.
Durant sa vie, Hilma af Klint estimait que personne ne pouvait comprendre son art. Née en 1862 à Stockholm, elle brisait, dans le secret de son atelier, toutes les règles qu’elle avait apprises à l’Académie des Beaux-arts. Elle composait, dès 1905, de grandes toiles carrées abandonnant toute référence au réel, fonctionnant par des dualités, avec des triangles, des ronds, des spirales, des ondes électromagnétiques, des formes biomorphiques, le tout en teintes éclatantes. Quand on y voit un cygne, c’était pour elle le symbole de la transcendance.

La Suède visionnaire
Elle fut inspirée (comme Mondrian le sera dans son passage vers l’abstraction) par la théosophie d’Helena Blavatsky, le rosicrucisme et l’anthroposophie de Rudolf Steiner.
Blavatsky expliquait vouloir “assigner à l’homme sa place réelle dans le plan de l’univers ; redécouvrir, jusqu’à un certain point, l’unité fondamentale dont tout a jailli.” Helma af Klint se sentait guidée par des “Maîtres supérieurs” qui lui dictaient sa création et l’amenaient à peindre 193 variations pour construire un “Temple” utopique en forme de spirale. Elle avait formé avec quatre autres femmes artistes un collectif, Les Cinq (De Fem), qui s’est lancé dans des séances de spiritisme et de transe.
Dans son testament, elle stipulait que le millier d’œuvres qu’elle avait réalisées et qu’elle léguait à son neveu ne pourraient être dévoilées que vingt ans après sa mort qui survint en 1944. Mais il fallut encore attendre jusqu’en 1986 pour qu’elle soit révélée. L’après-guerre n’était sans doute pas mûre pour accueillir une femme artiste qui brouillait les frontières entre raison et visions, reprenant l’injonction de Rimbaud : “Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens”.
Hilma af Klint disait : “J’étais l’instrument de l’extase”, une phrase qui a inspiré le tire de l’exposition à son commissaire Daniel Birnbaum.
Hilma af Klint fut exposée en France pour la première fois dans l’expo Traces du sacré au Pompidou en 2008.
Si elle est la vedette de cette exposition, on y trouve des œuvres d’autres artistes suédois visionnaires. L’exposition est dédiée à la fois à Sophie Lauwers la directrice générale de Bozar morte il y a neuf mois, et au mythique commissaire d’expos, Harald Szeemann, qui avait monté La Belgique visionnaire à Bozar en 2005. Cette nouvelle expo en est, en quelque sorte, une suite avec La Suède visionnaire, donnant une tout autre image de ce pays que l’on voit si rationnel.
On y présente aussi, en première mondiale (!), des peintures d’Anna Cassel (1860-1937) qui fut une compagne de route d’Hilma af Klint et fit partie du groupe Les Cinq.

August Strindberg
Une très belle salle est consacrée aux paysages expressionnistes du dramaturge August Strindberg (1849-1912). Ses mers agitées et ses cieux capricieux étaient une représentation de ses humeurs et de ses tourments intérieurs. Il se tournait vers la peinture dans les moments difficiles de sa vie quand sa capacité d’écrire faisait défaut.
L’exposition permet aussi de découvrir des peintres peu connus chez nous et portés eux aussi à l’occultisme et à ce que l’écrivain Aldous Huxley appellera Les portes de la perception, aux frontières entre folie et raison, comme les peintres Ernst Josephson (1861-1906) et Carl Frederik Hill (1849-1911) marqués par des problèmes psychiatriques.
On y retrouve aussi des artistes suédois contemporains, dont Carsten Höller, né à Bruxelles en 1961 et qui vit à Stockholm. Son carrousel ouvrait en 2005 l’expo sur La Belgique visionnaire. Une vitrine montre ses répliques de champignons (amanite tue-mouches) utilisés par les chamanes pour obtenir des hallucinations. Dans une salle étroite, il a placé tout un mur de lumières aveuglantes et clignotantes jusqu’à pouvoir elles aussi créer des hallucinations.
Swedish Ectasy, Bozar jusqu’au 21 mai. Avec un beau catalogue du Fonds Mercator.