La querelle du Christ d’Assy de Germaine Richier
Le Centre Pompidou rend hommage à Germaine Richier qui révolutionna la sculpture en l’épurant jusqu’à l’essentiel.
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Publié le 12-03-2023 à 11h05 - Mis à jour le 14-03-2023 à 16h39
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Les grands musées poursuivent leur tâche de redécouverte de grandes artistes femmes trop oubliées par l’histoire de l’art. Le Centre Pompidou met ainsi en lumière Germaine Richier (1902-1959) qui occupe une position centrale dans l’histoire de la sculpture moderne, comme un chaînon entre Rodin et le premier César.
Formée à la tradition d’Auguste Rodin et d’Antoine Bourdelle, qui l’accueillit dans son atelier, Germaine Richier s’affirma ensuite comme profondément originale et radicale en à peine plus de 25 ans, des années 1930 à sa disparition précoce en 1959 suite à un cancer. Elle participa à la Biennale de Venise en 1948 et fut la première femme exposée de son vivant au musée national d’Art moderne à Paris en 1956.
Dès l’entrée, on voit sa photo où elle est à moitié cachée derrière sa grande sculpture Ouragane (1948-49) dont l’écrivaine Marie Darrieussecq parle avec émotion dans le catalogue : “L’Ouragane avance. Terrible et menaçante. Affectueuse et aimante. Solide. Son beau visage serein n’admet pas qu’on l’arrête : elle avancera. Il y a eu des ravages. Il y a eu des naufrages. Ses mains maintiennent : là. ”
Le parcours de l’exposition retrace chronologiquement sa trajectoire artistique. Les débuts de la jeune femme venue de Montpellier restent encore classiques, avec une suite de bustes. Mais, ensuite, elle se met à épurer, gratter, déchirer, explorer notre humanité profonde et à défaire l’équilibre classique qu’elle savait si bien gérer. Elle disait : “Je pense qu’il fallait partir des racines des choses et la racine c’est la racine de l’arbre, c’est peut-être un membre d’un insecte. ”
Êtres hybrides
On retrouve ses célèbres sculptures d’êtres hybrides : femmes et hommes-sauterelles, mantes religieuses, chauve-souris. Elle intègre dans sa sculpture des éléments naturels comme une branche d’olivier dans L’Homme-forêt.

La Seconde Guerre mondiale fut à la fois une rupture et un catalyseur pour son œuvre qui délaissa alors le réalisme au profit d’un expressionnisme exacerbé. La noirceur de l’époque s’exprime, chez cette proche de Giacometti, par les corps écorchés qu’elle explore. Son œuvre d’alors nous interpelle toujours aujourd’hui, à l’heure où la guerre se retrouve à nos portes et où le changement climatique nous amène à renouer avec la nature. En témoigne L’orage (1947), “cet homme foudroyé, réveillé par son propre orage”, écrivait le poète Francis Ponge.
La tête de son Berger des Landes n’est plus qu’un cri de douleur. Ce n’est pas pour rien qu’elle fut exposée au lendemain de la guerre, au MoMA de New York, à côté des tableaux de Francis Bacon qui, comme elle, allait au plus profond de la tragédie humaine.

Un moment culminant fut son magnifique Christ en Croix qu’elle créa en 1950 à l’invitation du père Couturier pour l’église du plateau d’Assy en Haute-Savoie, qui avait invité de nombreux artistes à y laisser une œuvre, de Bonnard à Matisse et Léger.
Germaine Richier avait créé pour le chœur de l’église un Christ ravagé par la souffrance de la mise à mort comme l’est le Christ du retable d’Issenheim de Grunewald à Colmar. Mais, à peine installée, l’œuvre suscita une vaste polémique au sein des milieux traditionalistes chrétiens qui écrivaient : “On ne se moque pas de Dieu ! ” Ils s’insurgeaient contre la représentation qu’ils estimaient misérabiliste de la figure du Christ et estimaient que l’art sacré devait être “réconfortant et porteur d’espoir”. La polémique remonta jusqu’au Vatican où un cardinal proche de Pie XII dénonça “une image caricaturale. En elle nous ne pouvons reconnaître l’adorable humanité du Christ.”
Ce splendide Christ en Croix exceptionnellement prêté, ne réintégra le chœur et l’autel de l’église qu’en 1969, après quinze ans de mise forcée à l’écart.
La fin du parcours montre le dernier virage – moins convaincant — pris par Germaine Richier qui ajoutait de la couleur à ses sculptures.
Son exposition de 1956 fut saluée comme celle de la consécration de “l’un des grands sculpteurs de notre époque. ”
Germaine Richier, Centre Pompidou, Paris, jusqu’au 12 juin.