"On fait partie d’une magnifique chaîne du vivant, que nous sommes en train d’attaquer avec une violence incroyable”
Au train World, l'expo “Animalia” ose l’émerveillement. Dans le but de secouer les esprits.
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Publié le 30-03-2023 à 06h47 - Mis à jour le 30-03-2023 à 09h45
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C’est un petit crapaud doré du Costa Rica sautillant qui accueille les visiteurs d’Animalia. Enfin, sa version empaillée, quoi ! Le petit crapaud n’est plus : son espèce a tout simplement disparu. “C’est sans doute le changement climatique qui a été la dernière goutte à faire déborder le vase pour cette espèce…”, glisse avec dépit Jean-Pascal van Ypersele. Le climatologue belge est l’une des figures scientifiques de cette expo, visible jusqu’au 5 novembre.
Au beau milieu du Train World, le futur candidat à la présidence du Giec (en juillet prochain) s’improvise guide. C’est lui qui a désiré entamer ce récit autour de la biodiversité en soulignant les formes de vie qui ont disparu. “Le petit crapaud doré vit dans les montagnes humides du Costa Rica. Et ce sont dans les montagnes que les changements sont plus radicaux”. Pour survivre, ce crapaud a dû grimper en altitude et a, par conséquent, changé d’habitat et de voisinage, ce qui a provoqué sa fin.
À ses côtés, le dodo et le grand pingouin, ont repris vie temporairement sous la main du sculpteur animalier Pierre-Yves Renkin. L’expo n’est rien moins, selon le professeur van Ypersele, que “la démonstration de la crise de l’érosion de la biodiversité. Mais il s’agit aussi de dire que l’avenir est entre nos mains. Et l’un des domaines sur lequel on peut agir, ce sont les transports. Le train, en particulier, fait partie des éléments de solutions”.
Birfuquez à droite de la raie manta
Prenant le relais de Jean-Pascal van Ypersele, François Schuiten, l’homme du Train World, nous mène dans l’immense salle des machines dominée par la motrice qu’on appelle la “12”, un chef-d’œuvre de métal imaginé par les chemins de fer belges dans les années 30, et dont Schuiten a fait l’héroïne d’une BD. Au-dessus de la “12”, de grands dauphins bleus bondissent. Une image qui en convoque d’autres – l’affiche du Grand bleu, les émissions de Jacques-Yves Cousteau, qu’on regardait à la télé, enfant. “L’incongruité de cette rencontre entre le monde animal et les machines ne peut qu’interroger”. C’est le but. “On est dans des silos de pensées, et des silos d’émotions. C’est pour ça qu’il faut faire collaborer artistes et scientifiques. C’était formidable de travailler avec Jean-Pascal van Ypersele et Caroline Nieberding. Leur regard, cadré était le contrepoint aux émotions qu’on voulait transmettre”.

François Schuiten grimpe dans le poste de commande de la “12”. Depuis cet endroit, il englobe, d’un geste, l’immensité des lieux, désormais habités par le monde du vivant. La raie manta fait de l’ombre au visiteur ; la tortue à hauteur des petits enfants, les regarde de ses gros yeux globuleux. Un guépard asiatique rôde sur les wagons. Était-ce prophétique de le représenter, alors que s’éteignait il y a quelques jours en Iran, l’un des derniers spécimens de l’espèce ?
Le monde animal nous enjoint à oublier notre centralité d’humains".
Animalia, on le comprend, ne pouvait pas se contenter de jouer la carte de l’émerveillement. François Schuiten s’anime. “Mais je n’avais pas envie qu’on assène des propos culpabilisateurs, on en a trop” […]. La difficulté tient dans le fait de sortir des réflexes que nous avons. Il faut nous décentrer. Le monde animal nous enjoint à oublier notre centralité d’humains. On fait partie d’une magnifique chaîne du vivant, que nous sommes en train d’attaquer avec une violence incroyable. L’auteur des Cités obscures n’est pas adepte des scenarii de collapsologie, ni des messages martelés. Il nous dit chercher à “créer des consciences nouvelles”. “Que, brusquement, ça vienne de vous-même… Mais comment on va vous réveiller ?”
-- > “Animalia”, jusqu’au 5 novembre, au Train World, à Schaerbeek. Infos : https://www.trainworld.be
