L’art pour retrouver la transcendance
Superbe exposition à Venise, à la Punta della Dogana, autour des “icônes” dans l’art contemporain.
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Publié le 02-04-2023 à 12h00 - Mis à jour le 21-04-2023 à 11h54
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La nouvelle exposition à la Punta della Dogana à Venise, de la collection Pinault, est magnifique, montrant la puissance d’un apparent minimalisme. Ouverte jusqu’en novembre, elle s’intitule Icônes, au sens du geste de Malevitch plaçant en 1915, à Petrograd, son Carré noir dans le coin d’une pièce, en haut près du plafond, là où la tradition orthodoxe plaçait les icônes.
Comment l’art peut amener à une transcendance, à une forme de sacré dans un monde devenu sans Dieu. Comment l’artiste est parfois devenu ce démiurge, ce capteur d’infini.
L’exposition interroge aussi le statut de l’image dans un monde contemporain saturé d’images envoyées par nos smartphones. Les artistes peuvent encore rendre sa puissance à l’invisible au cœur du sensible.
Dès l’entrée, dans la première grande salle, on voit les centaines de fils d’or de la Brésilienne Lygia Pape (1927-2004) tombant comme la lumière dans la forêt ou dans une cathédrale.
Autour, une œuvre de Lucio Fontana se ramenant à des lumières : “Je ne veux pas faire de peinture, disait-il. Je veux ouvrir un espace, créer une nouvelle dimension, nouer un lien avec le cosmos, qui s’étend sans cesse au-delà du plan confiné d’une image. ”
L’exposition montre bien comment la proclamation de la mort de Dieu n’a pas éteint le sacré.
Des chapelles
À la fin du parcours, c’est une vraie chapelle métaphysique qu’a conçue Roman Opalka (1931-2011) et qui est reconstituée à l’exposition. Dans un espace tout blanc de lumière, sont accrochés cinq de ses grands tableaux avec des suites de chiffres s’estompant peu à peu. Son but était d’inscrire, dans la peinture même, la fuite du temps et l’avancée vers le néant blanc, la mort. Il avait commencé son travail de Sisyphe en 1965. Il avait 34 ans et déjà un pressentiment, sans doute angoissant, de la fuite du temps. Il définit alors la démarche d’une œuvre qui était d’emblée programmée pour remplir toute sa vie, Il s’agit de peindre à la peinture blanche, sur un fond noir, la suite des nombres, depuis le “1” jusqu’à l’infini.
François Pinault a, dit-on, un amour absolu pour les tableaux blancs de Robert Ryman et ceux, minimalistes, de Agnes Martin qu’il garde toujours près de lui. À la Punta, on les voit comme dans des chapelles. Un espace blanc est occupé sur tout un mur par les petits tableaux de Ryman où il a su concilier sans se contredire la radicalité minimale la plus extrême du blanc et une véritable sensualité picturale.
La question du temps et de la mort surgit aussi dans les crânes que manie Paulo Nazareth, dans ceux en cristal de Sherie Levine, ou dans le film de Philippe Parreno scrutant les peintures noires de Goya. Des Memento Mori.
Edith Dekyndt
La Belge Edith Dekyndt, que Pinault apprécie fort et qui aurait toute sa place pour nous représenter à la prochaine Biennale de Venise, est là avec son drapeau de cheveux devenu une icône de la révolution iranienne. Mais aussi avec un grand tissu qu’elle a enfoui pendant plusieurs mois dans le sol et que le temps, les insectes, la nature, ont transformé en un nouveau paysage venu de la terre.
Lee Ufan offre aussi un espace de méditation autour d’une pierre, avec une vue sur Venise, ses canaux, le souvenir de ses icônes byzantines.

D’immenses tableaux dorés de Rudolf Stingel sont accrochés dans le cube central de la Punta della Dogana avec, au plafond, des “drapeaux” de Danh Vo qui sont des draps repris au Vatican et qui conservaient des objets de piété dont il reste les traces de calices, d’ostensoirs et de crucifix sur le tissu.

On retrouve aussi parmi de nombreux autres artistes, Donald Judd, David Hammons, tout un mur couvert de l’œuvre si fragile de Michel Parmentier, et l’installation vertigineuse de Kimsooja dans la tour, où elle a couvert le sol de miroirs tandis que l’on entend des chants grégoriens. Ce sont d’autres expressions de cet art qui scrute le mystère d’être là et un jour de ne plus y être. Des œuvres qui ont ce paradoxe d’être souvent minimales mais, par là même, de créer une émotion forte. Même la Nona Ora, le pape foudroyé par un météorite de Maurizio Cattelan, exposé face à la mer, devient ici une méditation sur la souffrance.
Comme Avant l’orage, la très belle exposition en cours à la Bourse de Commerce, à Paris, c’est Emma Lavigne qui signe cette superbe exposition, cette fois avec Bruno Racine.
Icônes, Punta della Dogana, Venise, jusqu’au 26 novembre