Johan Van Mullem, peintre parmi les siens
Seul artiste contemporain belge à être exposé en 2023 aux MRBAB, Johan Van Mullem y interroge, à sa façon, notre société en mutation.
Publié le 01-05-2023 à 15h12
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Soutenant de longue date la création actuelle, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique invitent régulièrement des artistes contemporains au cœur de leur collection d’art ancien. C’est dans le cadre du cycle d’exposition Remedies que Johan Van Mullem (Congo, 1959) s’inscrit. Et pour cause : face aux maux et symptômes de notre humanité, son art se veut thérapeutique et semble nous proposer de possibles remèdes, nous incitant en premier lieu à ralentir, réfléchir et méditer.
Intitulé For Love’s S(n)ake !, cet accrochage – orchestré par la commissaire Sophie Hasaerts – réunit une cinquantaine d’œuvres inédites ainsi que les derniers développements de ce Bruxellois d’adoption. Un corpus qui tranche assurément avec ce que le public connaît habituellement de l’artiste, à savoir de grands visages floutés jusqu’à l’abstraction et un monde tout en intériorité, tourmenté, puissant et mystérieux, tel qu’il fut présenté lors de son exposition monographique au Musée d’Ixelles (2016-2017). Seule certitude : une transition s’est opérée ces dernières années. Des portraits, l’artiste est passé à la nature.
Par la force des choses, Johan Van Mullem a rejoint le cénacle imaginaire des plasticiens sur lesquels la crise sanitaire et les confinements successifs ont eu un effet catalyseur. Comme pour beaucoup d’entre nous, l’obligation de rester isolé a alimenté l’envie irrépressible de voyager à proximité, d’explorer son jardin extérieur pour se reconnecter à sa vie intérieure. “C’est quand on est contraint de rester à l’intérieur que l’on se sent dévoré par l’envie d’aller à l’extérieur. De mon expérience, cet “emprisonnement” a été le détonateur d’une libération. Pendant cette période, je suis allé travailler dans mon jardin que je pensais connaître. J’ai découvert dans cette nature des choses incroyables me conduisant vers des compositions tout à fait inédites, et alimentant mon envie de peindre des tableaux plus grands. Un désir qui a coïncidé avec mon déménagement dans un nouvel atelier à Ixelles, bien plus spacieux, qui me permettait de peindre des toiles monumentales. À chaque fois que je les dévoilais, mes visiteurs partageaient la même réaction, me disant : “C’est une production d’ampleur muséale !” Pendant deux ans et deux mois, j’ai produit la majeure partie des tableaux présentés ici sans imaginer qu’ils seraient exposés dans un musée. L’opportunité offerte par les Musées royaux semble tenir d’un formidable alignement des planètes. Cette exposition s’est organisée en à peine quelques mois, de manière très soudaine et spontanée. Une façon de fonctionner qui convient parfaitement à ma manière de travailler ” Sur place, les œuvres dialoguent sensiblement avec les espaces du musée, accentuant encore la magie de l’histoire.

Des préoccupations intemporelles
Aux cimaises, l’apparition du végétal sur des toiles de grand format déclenche un sentiment de liberté et de sérénité. Peindre ces surfaces monumentales conduit l’artiste dans une dimension parallèle. Un corps à corps physique et intense avec la matière. Un voyage immersif qui chemine vers l’essence de son être. Il nous éclaire : “Si la crise sanitaire a permis d’évacuer certaines choses, cette libération n’a pas été si simple. Cela s’apparente à un long cheminement qui peut être de l’ordre du combat – parfois violent, parfois doux – pour parvenir à concilier ce que l’on est et ce que l’on ressent.” Ce que Johan Van Mullem définit comme un combat existentiel s’apparente, à nos yeux, au noyau central d’un espace formé de cercles concentriques. Cœur de cible, le combat existentiel s’inscrit dans une histoire personnelle, elle-même soumise à une histoire familiale, laquelle s’insère plus largement dans une histoire universelle. Pour cet architecte de formation, issu d’une famille dans laquelle la culture a toujours tenu une place importante, devenir artiste fut bien plus qu’une vocation. Dans la famille, les hommes peignent ou dessinent, se transmettent de merveilleuses aptitudes de père en fils. Il nous confie : “Devenir peintre s’est rapidement imposé comme une évidence. Je ne pouvais pas faire autre chose.” Nous révélant, amusé, qu’il a déménagé 35 fois, Johan Van Mullem semble avoir enfin trouvé, au cœur du musée, la maison tant recherchée. Un lieu pour exister. Mieux, un espace pour évoluer parmi les siens.
Travailler seul dans son atelier n’empêche pas d’appartenir à une filiation. Tous les artistes exposés entre ces murs – Bruegel, Rubens, Jordaens, Memling, Bosch… – ont tous été des artistes contemporains de leurs époques, avec les mêmes réflexions, les mêmes principes de création qu’un artiste actuel devant sa toile.
“Cette exposition m’a fait prendre conscience, tout d’un coup, que travailler seul dans son atelier n’empêche pas d’appartenir à une filiation. Tous les artistes exposés entre ces murs – Bruegel, Rubens, Jordaens, Memling, Bosch… – ont tous été des artistes contemporains de leur époque, avec les mêmes réflexions, les mêmes principes de création qu’un artiste actuel devant sa toile. Tous sont animés par une volonté commune : employer les mêmes outils et créer une image pour s’exprimer. Ce sentiment d’appartenance que je ressens en exposant mes œuvres à quelques pas de celles de grands maîtres donne de la cohérence à mon histoire. Il y a une prise de conscience conjuguée à un ressenti unique, très valorisant.”

Une filiation évidente
Le visiteur mesure facilement toute la portée de cette filiation tant le dialogue avec ses aînés est évident. Une conversation se noue naturellement. Johan Van Mullem entre en relation avec la collection permanente, multipliant les échos formels et clins d’œil substantiels. Ici, la surface picturale présente un réseau de craquelures évoquant directement la production des Primitifs flamands. Sans l’avoir présagé (rappelons que l’artiste ignorait tout de cette présentation au moment de la réalisation), et de façon très instinctive, le peintre jette des ponts avec les anciens. Il crée ici une faille temporelle. Plus loin, c’est son interprétation très libre d’Adam et Eve qui répond à un autre couple issu des collections. Éloignées techniquement et esthétiquement en tous points, les deux démarches partagent pourtant un trait commun : toutes deux parlent de l’humain et des rapports de force entre les genres.
Si la salle 54 réunit de très beaux – et grands – dessins figuratifs (débordant de motifs narratifs qui confirment la maîtrise absolue de l’artiste) et des sculptures de visages grimaçants (lesquels rappellent directement ses portraits picturaux précédents), c’est néanmoins dans le patio que l’artiste nous emporte. De grands paysages fantasmés témoignent de l’éclosion de ses couleurs. Une palette forte. Sans compromis. Autre ligne de force, l’horizon charpente la construction, partagée entre ces deux niveaux. Il apporte au tableau structure et équilibre. Des panoramas davantage tournés vers l’intérieur que l’artiste réalise exclusivement à l’encre. Tel un heureux accident, cette direction s’est imposée naturellement à l’entame de sa carrière. Entraîné à la gravure, Johan Van Mullem était attiré par la peinture, mais la pratique à l’huile lui semblait inaccessible. Porté par son désir, l’artiste emploie ce qu’il a sous la main, soit des vernis et des encres de gravures et d’imprimerie. Un travail multipliant les couches, lesquelles offrent une luminescence atmosphérique toute particulière. La rencontre frontale avec son œuvre tient en partie de l’expérience mystique, de l’insaisissable. Le peintre se fait intermédiaire du divin. Nul étonnement d’apprendre ou de comprendre qu’il se passe volontiers de toute intention prédéfinie et dessin préparatoire. Johan Van Mullem se laisse porter par ce qu’il ressent physiquement, face à cette toile blanche sur laquelle il écrit un nouveau chapitre émotionnel et intuitif.
★★★★ Johan Van Mullem – For Love’s S(n)ake ! Art contemporain Où Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (Patio 2&salle 54), rue de la Régence 3, 1000 – Bruxelles, www.fine-arts-museum.be Quand jusqu’au 23 juillet, du mardi au vendredi de 10h à 17h, le samedi et le dimanche de 11h à 18h.