Une peinture qui cogne
À la Stems Gallery, à Bruxelles, découverte d’un jeune Haïtien, Olivier Souffrant, 28 ans. Une première bruxelloise et le sport en exergue d’un art musclé.
Publié le 07-05-2023 à 16h29
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L’histoire est belle. Qu’un critique se réjouisse de ce qu’il voit, cela existe. D’autant plus convainquant qu’inattendu, l’agrément d’une sortie par beau temps se mêlant à celui d’une vraie découverte.
L’exposition en question n’aurait pourtant pas dû se retrouver dans l’escarcelle de celui qui tente de vous convaincre d’y aller presto, sa jeune collègue de ces pages étant, la première, tombée sous le charme d’un artiste, jeune aussi, souriant, tonique, rencontré sur le stand de la Stems Gallery lors d’Art Brussels. Une maladie malvenue en a décidé autrement.
Compère d’autant plus heureux de la circonstance que tout concordait à ce qu’il se réjouisse d’une rencontre avouant dès l’abord des complicités de soi, même si, deux heures plus tôt, il ne savait rien de l’artiste, rien de son destin ni de son ouvrage.

Les hasards de la vie sont à saisir séance tenante. L’accueil par la galeriste et son assistant eurent d’emblée tout pour lui plaire. Sans affect, simple, engageant. Une bouteille d’eau, des sourires, un appel à l’artiste pour qu’il nous rejoigne, un lieu brut de décoffrage – l’ancien réfectoire des bâtiments Solvay du la rue du Prince Albert – et, dans la foulée, la présence d’un créateur spontané, vibrant, d’un naturel obligeant.
Dure réalité, art musclé
Le 12 janvier 2010, un séisme en Haïti, magnitude de 7,3 sur l’échelle de Richter, voua à une mort horrible 280 000 résidents de villes surpeuplées, de Port-au-Prince, la capitale, à Jacmel. S’ensuivirent d’hallucinants débris, toujours d’actualité 23 ans plus tard. Notre artiste avait quinze ans à l’époque, perdit, drame insoutenable, des membres de sa famille rapprochée, s’enfuit aux États-Unis avec sa mère. Or, coquin de sort, le critique qui vous parle foulait ces mêmes lieux un mois avant le sinistre ! Il était là-bas pour en découdre avec un projet de Festival Haïti à monter chez nous sous l’égide du Commissariat aux Relations internationales de la Communauté française de Belgique.
Brutalisé par le séisme, le festival fut annulé. Seul Mario Benjamin, repéré au-dessus du lot, s’en vint au Botanique pour une démonstration percutant les entendus. Ces faits et souvenirs eurent tôt fait de mener l’artiste et son rapporteur en pays de connaissance.

Étrange patronyme pour un homme meurtri dans sa jeune chair que celui d’Olivier Souffrant. Vrai ou faux, il n’en laisse rien paraître, assume sa vie de battant. D’opiniâtre créateur d’univers musclés. Son art, diversifié lors de ses précédentes expositions, nous plonge de facto dans les abîmes d’une vie à tu et à toi avec des combats d’homme en prise sur son actualité. Thématique nouvelle pour lui, le sport l’aura retenu pour une orchestration bien de saison quand les jeux du stade font oublier aux foules un quotidien désarmant. Le sport n’est-il pas aussi arme de combat pour une survie ?
Noir de peau comme Basquiat, de sang haïtien, Olivier Souffrant a ce sourire qui aura réjoui l’âme de son répondant blanc. Il vous embrasse comme on donne une main complice à l’aventure d’heureux échanges d’appréciation. Probant assurément. Et sa peinture flambe, cogne par sa monumentalité – toiles de plus de deux mètres de côté -, par l’exacerbation dynamique de sujets sous tension. Son combat de plasticien brise les carcans. D’abord informaticien, Souffrant scanne des images d’archives, qu’il rehausse de collages virtuels, avant d’attaquer la toile avec une peinture vigoureusement brossée. L’uppercut y règle la note. Pas de caricature mais un rendu vivant, sensible, puissant.
Une dizaine de toiles dans l’espace du Solvay : football, boxe, tennis (Serena Williams contre Djokovic), basket-ball, podium du 200 mètres aux JO de Mexico en 1968 (Black Power et gants noirs tendus), course hippique, handball.

Lucidité, détermination, occupation de la toile et de l’espace, de l’esprit du lieu. Souffrant tranche sur le convenu par une faconde à hisser le pavillon d’une énergie qui soulève des montagnes. Il faut le voir, le revoir. Gwennaëlle Gribaumont assurera un prochain compte-rendu. Cette peinture éveille les ressentis, trouble nos appétits.
*** Hitting The Apex Art contemporain Où Stems Gallery, 4, rue du Prince Albert, 1050 Bruxelles. www.stemsgallery.com et 0494.33.21.23 Quand Jusqu’au 27 mai, du mardi au vendredi, de 12 à 18h ; le samedi, de 14 à 18h.