"100 Jahre": de quelques semaines au siècle
À la Fondation A, les portraits de 101 personnes, chacune plus âgée d’un an que la précédente.
Publié le 15-05-2023 à 17h31
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L’exposition 100 Jahre de Hans-Peter Feldmann (1941) en cours à la Fondation A peut être lue de façons diverses, mais au risque du malentendu, voire du contresens. Au premier abord, sans connaître le parcours de l’artiste, on pourrait – comme on le ferait avec des images d’illustrés ou de Pinterest – voir cet ensemble de portraits de personnes âgées de 8 semaines à 100 ans comme une simple description du vieillissement qui nous attend tous. On apprécierait alors la persévérance du photographe à trouver ses modèles, mais aussi la clarté de sa proposition… à défaut de l’évidence du propos. La clarté supposée de la proposition – nous faire comparer des visages dont on nous donne l’âge pour déceler le vieillissement – ne débouche en réalité que sur la tautologie “les hommes et les femmes changent physiquement d’année en année et plus particulièrement dans la prime jeunesse”, ce qui précisément est un propos dont on peine à comprendre l’intérêt.

Abstraitement
On pourrait aussi – toujours en faisant abstraction de la biographie de l’auteur – lire cette série de clichés simples et frontaux – comme une citation ou comme un hommage au travail sériel et classificatoire d’August Sander qui, soit dit en passant, tint son premier studio photo à Linz, la ville où Feldmann a étudié. Mais, dans ce cas, ce serait confondre l’idée de série comme suite d’images qui prévaut dans 100 Jahre avec l’idée de série comme accumulation d’images semblables ou comme construction typologique qui était celle de l’initiateur du "Style documentaire".
Ce travail-ci, réalisé entre 1994 et 1997, n’établit pas de typologie, il ne nous dit pas à quoi ressemblent les enfants de 10 ans, les cinquantenaires ou les personnes très âgées, car il ne nous montre que des cas singuliers. Alors que les dizaines de portraits de chacun des chapitres des Hommes du XXe siècle de Sander laissaient entrevoir une physionomie d’ensemble de telle ou telle strate sociale, les 101 portraits exposés à la Fondation A quant à eux ne nous permettent de déduire le phénomène du vieillissement que de façon abstraite.
Collection
En les abordant, mieux vaut savoir que le travail développé depuis plus d’un demi-siècle par Feldmann est avant tout celui d’un artiste conceptuel. Un artiste qui, après des études peinture à l’Université des Arts et de Design Industriel de Linz dans les années 1960, s’est fait connaître dès 1968 en réalisant des livres artisanaux. De modestes carnets qui tous rassemblaient des photos de provenances diverses, mais sur un même sujet – chaussures, chaises, stars de cinéma… – issues des énormes archives visuelles thématiques concoctées par ses soins. (Un exemple nous en est donné ici avec la série Legs (2008), une collection d’images de jambes de femmes épinglées au mur).
Ces carnets ne sont pas sans rappeler ceux réalisés par Ed Ruscha au début des années 1960. Notamment le célèbre Twentysix Gasoline Stations (1963) généralement considéré comme le premier livre d’artiste contemporain., mais aussi à sa suite Every Building on the Sunset Strip (1966) ou Thirtyfour Parking Lots (1967), autant de créations revendiquant la banalité des sujets abordés et l’absence de style pour les montrer.

Chronologie
Ce sont les mêmes principes qui prévalent dans 100 Jahre et dont il est préférable que notre lecture tienne compte comme le suggère la série All the clothes of a woman (1973) présentée en préambule pour nous éviter le malentendu de la “description réaliste” ou pis, de la démonstration imparable. Comme dans une de ses anciennes séries qui montrait en 36 vues le déplacement d’un navire, c’est la chronologie, qui organise ici la forme. Pour le reste, on ne trouvera ni plus ni moins que 101 personnes photographiées par l’artiste sobrement, sans affect, pour nous laisser le soin d’en tirer nous-mêmes une signification.
*** “100 Jahre” de Hans-Peter Feldmann – Quoi Photographie, Où Fondation A, avenue Van Volxem, 304, 1190 Bruxelles Quand Jusqu’au 2 juillet, du mercredi au dimanche de 13h à 18h. Rens. : fondationastichting.com