"J’ai tout vu, le chauffeur qui a embouti la voiture avait brûlé le feu rouge"… Mais ça n’était pas vrai !
Le World Of Mind, ou WOM, nouveau musée bruxellois à Tour et Taxis, a ouvert ses portes et, pour une fois, le visiteur n’est pas que spectateur. Il regarde comment fonctionne sa matière grise.
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Publié le 15-05-2023 à 12h19 - Mis à jour le 15-05-2023 à 12h26
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120 expériences sur plus de 1500 mètres carrés, c’est ce que propose le WOM, le nouveau musée bruxellois dédié à la manière dont notre cerveau fonctionne. Parce que, voilà, on se le trimballe tous les jours avec soi, mais on sait mal, finalement, comment fonctionne notre matière grise, celle qui nous permet d’appréhender le monde.
Le neurologue belge Steven Laureys, connu à l’international pour ses travaux de vulgarisation sur les subtilités de notre “unité centrale”, vous le dirait volontiers : “On ne sait pas bien comment il fonctionne, ce cerveau.” Voilà pourquoi on continue de l’étudier. Voilà pourquoi, aussi, le WOM est né, sous son parrainage.
Accueillis par les Laureys, le père et sa fille Clara, on fait un tour amusé de ce musée, où lire le cartel n’est pas de tout repos puisqu’à chaque fois celui-ci nous enjoint à nous bouger pour comprendre. Tester par nous-même.

On cherche à saisir le mystère des illusions optiques. On “entre” dans le décor pour disparaître à la vue. On se rend compte aussi qu’être grand ou gros ne sont que des données relatives. Sentir, vérifier. Voir plus large. C’est tout l’enjeu du WOM.
Dans la foulée de notre visite, c’est avec Steven Laureys que nous avons discuté de notre drôle de matière grise.
D’entrée de jeu, vous nous dites, dans l’expo, qu’il ne faudrait pas s’arrêter à notre perception du monde première et immédiate. Vous nous l’apprenez : chacun voit sa propre réalité. Et, donc, vous insistez sur l’utilité de regarder le monde en sachant cela : il existe d’autres réalités produites par d’autres cerveaux…
En tant que neurologue, je suis confronté à cette idée en permanence. On sait que notre cerveau nous livre, en fait, une reconstruction du réel. Il y a des choses que l’on pense être vraies, et ce n’est pas le cas ! D’où le fait qu’il soit important d’aborder d’autres réalités, d’autres perceptions que les nôtres.
Vous soulignez que notre vision dépend en partie de notre vécu émotionnel. Vous donnez l’exemple des témoins des procès qui disent avoir vu quelque chose, quand ce n’est pas toujours avéré scientifiquement. Si ce que nous voyons n’est pas la réalité, ça pose de sacrés problèmes !
Le témoignage reste important dans notre système juridique, alors qu’on sait qu’il est plus ou moins correct. Des mesures objectives comme les analyses ADN ont mis en cause, dans une série de cas, la preuve apportée par le témoin.
Ce qu’on pense, ce qu’on a vécu, influence notre interprétation d’une scène. Je vous donne un exemple : j’étais à un congrès aux États-Unis, à Orlando, avec mon père, et on faisait les touristes en voiture ; je roulais lentement. Je fais une manœuvre pas très correcte et une voiture me fonce dedans. Le chauffeur, une personne noire, sort de la voiture en criant. Arrive quelqu’un qui dit : “J’ai tout vu, j’ai tout filmé, le chauffeur qui a embouti la voiture avait brûlé le feu rouge…” Alors que ça n’était pas vrai. C’est un bel exemple de quelqu’un qui venait comme témoin, mais, vous voyez, on a tous des préjugés. Pour lui, la personne noire était la fautive.

Vous osez dire que notre cerveau n’est pas magique. Que ce qui nous serre de moyen de penser le monde a ses failles… C’est intéressant que cela vienne de vous.
Il faut rappeler, sans arrogance, qu’on n’a pas compris le code neuronal de la perception, de la pensée, des émotions. À partir de là, commence la possibilité d’un émerveillement. Comment quelque chose de matériel comme le cerveau fait-il pour produire cet univers intérieur ?
Tout ce qui touche à la vulgarisation de la connaissance, ça fait partie de ma mission. D'autant qu'il ne s'agit pas passivement de regarder des objets; il est bien question de participer. Je crois beaucoup dans la valeur ajoutée de l'expérience elle-même aux côtés de la connaissance. Quand on vit les choses, c'est beaucoup plus puissant.
Qu’est ce qui vous fascine le plus dans le fonctionnement du cerveau ? Et quel est son plus grand manquement ?
Je n’aime pas le comparer à une machine, mais je pense qu’il est extraordinaire. On pense que l’on voit tout mais, en réalité, des choses nous échappent, comme l’infrarouge, l’ultraviolet… On a une vision limitée, qu’on peut rendre visible avec nos machines. Ces technologies, Internet font partie de nous. Mais ce serait un danger de penser que l’homme contrôle tout. On pourrait vraiment payer cette idée, défendue par certains, que le cerveau n’est pas assez rapide, qu’il faut le “plugger” pour augmenter sa capacité de mémoire, de penser, de gérer.
Dans une société de haute technologie, avec l’intelligence artificielle, les robots, la réalité virtuelle, le métavers, j’ai besoin d’investir dans tout ce que ces machines ne font pas. C’est-à-dire : percevoir, avoir des émotions, des motivations, de la créativité, des valeurs éthiques. Ce n’est pas la machine qui répond à ces questions.
Il y a une vraie inquiétude de la part du grand public face à la naissance des intelligences artificielles. Comme si on était rattrapé par les dystopies les plus puissantes qu’on a vues à la télé. Dans le mot “intelligence artificielle”, il y a l’intelligence, que l’on relie au cerveau... Que pensez-vous des machines qui pensent ?
On parle ici de super ordinateurs que nos ingénieurs utilisent chaque jour dans le domaine de la recherche par exemple. Mais ce ne sont pas plus que des algorithmes, et ce même s’ils ont une capacité impressionnante dans l'interprétation des images de cerveaux, pour mieux poser des diagnostics, développer des traitements.
En tant que société c’est à nous d’en faire bon usage. À l’heure actuelle, on a l’impression de vivre une révolution majeure. Mais ce sont bel et bien nous, et non pas la machine, qui dirons ce qu’il faut faire. Certes, dans les voitures, il y a des softwares empathiques qui détectent notre état d’âme et s’y adaptent, mais ces outils ne ressentent rien ; ils sont programmés pour répondre de manière peu flexible. La force de l’homme, qui est un être social et émotionnel, c’est sa flexibilité. Les technologies d’aujourd’hui sont très éloignées de la dynamique du vivant et de l’homme.
- Le WOM, à Tour et Taxis, Shed 4 bis, Avenue du Port, 86 C, à 1000 Bruxelles. Infos : https://worldofmind.be.
- À lire, pour compléter nos connaissances, de façon ludique, “Cerveaugraphie : Comprendre le cerveau en infographies”, publié par Steven Laureys chez Hachette Pratique (128 pp., 20€).