Au Domaine de Chambord : peinture, poussières, etc.
Le vaste et prestigieux Domaine de Chambord invite Lionel Sabatté à lui confier un lustre de plus : un art de mèche avec la nature. Édifiant !
Publié le 18-05-2023 à 19h34
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Lionel Sabatté, un nom déjà comme un fleuron. Un patronyme que cette exposition, la plus florissante qu’il ait connue, inscrit en lettres heureusement oxydées en filigrane d’un mode d’expression très actuel, estampillé par le recours constant aux réalités les plus naturelles. Né en 1975 à Toulouse, Parisien d’élection, ce Sabatté borderline n’en finit pas de nous étonner.
Découvert à l’occasion d’une exposition, déjà panoramique, à la galerie d’Antoine Laurentin (sa cellule bruxelloise qui l’invitera à nouveau cet automne), cet artiste, bien plus qu’en herbe et poussières, déroge au cours des jours de l’art de son temps en corsant la mise d’inédites valeurs ajoutées.
Plasticien rompu aux plus hasardeuses techniques de démonstrations qui vous figent d’admiration et, partant, d’adhésion sans restriction, Sabatté déroge aux facilités d’usage, en surfant certes sur un art de la récup' en vogue depuis quelque temps mais, surtout, en adaptant à sa démarche visionnaire des ressources que nul n’avait, à notre connaissance, usagées avant lui.

”Tu fus poussière et tu redeviendras poussière”. Fort, quelque part, d’une sentence biblique apprise dès l’enfance, l’artiste a élu la poussière en argument de poids et d’épatante réalité quand il réalise des animaux, petits ou grands, qui, sous ses doigts fertiles, exhibent leurs caractéristiques autrement qu’en effets de mode.
Nature fer de lance
Sabatté nourrit, d’évidence, de profondes intimités avec la nature, celle-ci entendue et appréciée sous toutes ses formes et coutures, nature et architecture n’étant point insensibles l’une à l’autre, pourvu que ce fut empreint de sérénité et d’allant. Aussi, se retrouver, pour lui, au cœur des quelque cinq mille cinq cents hectares de bois et étangs du Domaine de Chambord s’avéra-t-il bonheur créateur.
Plus de trois mois durant, convié en résidence, y œuvrant dehors comme dedans et dormant à l’ombre du deuxième étage d’un château lourd d’histoire et de dettes envers François Ier, son premier mécène, et de Léonard de Vinci à qui l’on doit l’idée d’un somptueux escalier à double révolution autour duquel Sabatté déposa, modeste et heureux, ses travaux de 2023. Sans que l’on oublie que tout ceci se joue près de cinq cents ans après les débuts d’un domaine réellement enchanté, majestueux par ses déhanchements d’envergure et ses plafonds flanqués de la salamandre chère au roi François.
L’art est en pays de connaissance à Chambord et l’artiste a pu se satisfaire à l’aise, décontracté, d’une invitation de bon augure pour son avenir, quand on sait que, depuis 2011, des créateurs de belle race y furent conviés pour perpétuer l’actualité positive du château, lieu d’exception et espace de cultures pour des denrées de première qualité. Les fermes d’alentour, sises à l’intérieur du domaine, pérennisent cette œuvre de salubrité publique. Jusqu’à proposer une eau de bouleau, salutaire, récoltée au printemps !
Avant Sabatté furent ainsi conviés, exemples parmi d’autres : Djamel Tatah, Georges Rousse, Philippe Cognée, Alexandre Hollan ou Paul Rebeyrolle. Une trentaine de privilégiés pour un laboratoire destiné aux plasticiens et aux écrivains. Vœu des organisateurs : une transmission culturelle en territoire rural.
La Dame du Lac
Lionel Sabatté a conçu une participation explicitement concentrée sur la matière du vivant, sur un dialogue avec Chambord. 150 œuvres ont été assemblées pour ce défi. Et le moins qu’on puisse en dire, c’est que cela fonctionne et même très bien !
Ses matières du vivant ? “L’informe, la corrosion et les matières dévalorisées, telles que la rouille ou la poussière, le cheveu aussi. Redonner vie à ce que nous avons déchu”. Les effets sont surprenants. Mais la mise en forme et la patience ne le sont pas moins.
À un quart d’heure à pied du château, La Dame du Lac, œuvre qui restera sur place bien au-delà de l’exposition, Sabatté a conçu une installation majuscule, sorte d’observatoire de lianes, de sculpture/abri, de caverne, liée à l’histoire de l’humanité et à la chouette. Ce fut pour lui le début d’une belle aventure. Réalisée sur place, dix jours dans la froidure hivernale, du matin au soir, elle lui aura permis d’intégrer la sculpture dans un paysage. Une sorte de grotte préhistorique générée par un engagement physique intense. Ingrédients : des fers à béton fichés dans le sol flanqués d’une sorte de dessin dans l’espace avec du ciment et des pigments, des éléments capables de résister à l’humidité. Autour du lac, une réserve naturelle est peuplée d’oiseaux très rares, ainsi le balbuzard pêcheur, mais aussi des cerfs, des biches. Aubaine du forcené : le premier jour, du haut de sa tour, il a découvert, posé sur le sol bien que venu de la nuit des temps, un silex biface qui servit aux graveurs de la Préhistoire. Sabatté a décidé de le sceller dans son mirador : “Une belle histoire, quelque chose de magique”.

Face au château, autre histoire mémorable : Sabatté a déployé une vingtaine de sculptures filiformes en bronze à têtes d’oiseaux : ses Champs d’oiseaux, 29 pièces de tailles différentes, les unes bec tourné vers le château, les autres regardant les jardins à la française. La plus géante fait neuf mètres de hauteur. Sabatté a laissé visibles les accidents de fonderie. Ses effigies se disputent des allures d’oiseaux, de plantes, de minéral, elles sont un peu comme un parterre de fleurs face au château de François. Sa plus grande pièce fait songer à Brancusi, à sa Colonne sans fin, mais ici le bronze est à vif, brut de décoffrage.
Dans le château
Rendez-vous au deuxième étage de l’auguste demeure, qui servit surtout de château de chasse. De très nombreuses têtes de cerf en agrémentent certains murs. À l’étage, première émotion : sa Meute. Cinq loups qui rappellent qu’ils furent des hôtes des bois d’alentour jusqu’à la Révolution. Des loups, le plus ancien date de 2006, conçus sur base d’une armature de fer, de plus en plus solide avec le temps, recouverte de poussières et de colle. Celles du Métro Châtelet pour le premier, celles du château pour le dernier, de 2022, un loup hurlant.

Le loup, ici un peu plus grand que nature, fait écho au château, à la salamandre très présente sur le plafond, emblème de François Ier. Et puis, il y a, salles connexes, les grandes peintures, une installation monumentale de 100 portraits, dessins à la poussière et aux cheveux. 100 visages pour 100 jours. Symbole : le passage du temps, surprise quotidienne. “Ce sont des agrégats de poussière liés entre eux par des cheveux qui forment, de fait, le matériau humain, de base, de la poussière récoltée.”
La Salle des Chrysalides est impressionnante. Dérivés des Bœufs écorchés, de Rembrandt, Soutine, Bacon ou Velickovic, les peintures chrysalides abstraites de Sabatté le situent clairement dans un sillage de ces monstres sacrés. Il n’a pas à rougir de ses Chrysalides, métamorphoses de nos devenirs. Elles évoquent, dit-il, “une renaissance”.
Gros châssis aux bords peints, lourdes de matières, peinture, pigments et tissus encollé : “Elles expriment aussi la joie. Elles sont macrocosme et microcosme”. Il y a en elles de la lourdeur et de la lumière. Des couleurs. Des matières abruptes. Des fulgurances. C’est grandiose !
Après sa suite de salamandres de vert et doré oxydés, de l’infiniment grand au petit : Sabatté nous réserve son Cabinet Privé, des curiosités minimalistes peaufinées par ses doigts de fée Carabosse.
Commissaire de ce bel et percutant ensemble, Yannick Mercoyrol peut être content de son exposition 2023. Elle bénéficie du soutien de la Galerie Ceysson & Bénétière.
**** Lionel Sabatté – Pollens clandestins Art contemporain Où Domaine national de Chambord, 41250 Chambord. www.chambord.org et 00.33.2.54.50.40.00 Quand Jusqu’au 17 septembre, tous les jours, de 9 à 18h.
Catalogue : Lionel Sabatté – Pollens clandestins, divers auteurs, 170 pages en couleur. Prix : 39 euros.