Le mycélium -champignon- et les Belges en vedette à la Biennale d’architecture de Venise
Le pavillon belge occupé par Bento et Vinciane Despret est un passionnant laboratoire du futur.
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Publié le 19-05-2023 à 08h34 - Mis à jour le 19-05-2023 à 13h33
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La Biennale d’architecture 2023 de Venise s’ouvre ce week-end. Elle a pour thème Le laboratoire du futur et la commissaire en est Lesley Lokko, 59 ans, une architecte ghanéenne et écossaise qui vit entre Johannesburg, Londres, Accra et Edimbourg. Elle est aussi romancière. Pour la première fois, les projecteurs, dans le pavillon central des Giardini et à l’Arsenale, sont braqués sur l’Afrique.
L’exposition centrale Le laboratoire du futur comprend 89 participants, dont plus de la moitié est originaire d’Afrique ou de la diaspora africaine. “Au cœur de tous les projets se trouvent la primauté et la puissance d’un outil : l’imagination, a déclaré Lokko. Il est impossible de construire un monde meilleur si l’on ne peut pas d’abord l’imaginer.” Avec deux thèmes privilégiés : la “décarbonation” et la décolonisation.
Cette année, c’est la Fédération Wallonie-Bruxelles qui occupe le pavillon belge avec l’exposition In Vivo qui cadre parfaitement avec le thème de la Biennale et les interrogations actuelles sur notre avenir.
In Vivo veut interroger notre système de production extractiviste en identifiant et en développant des alternatives de construction à partir de matériaux issus du vivant. Et tout particulièrement le mycélium, véritable héros du pavillon belge : c’est la partie végétative des champignons, ses “racines” qui se développent dans le bois ou la terre. Le champignon qu’on voit est sa fleur. Ce mycélium peut avoir des propriétés fascinantes en construction ou design du futur, au départ uniquement de nos ressources naturelles sur le sol bruxellois.

In Vivo est proposé par un trio de jeunes architectes (tous nés en 1993) réunis dans le bureau Bento (Florian Mahieu, Corentin Dalon, Charles Palliez) et associé à la philosophe et éthologue bien connue, Vinciane Despret, celle que Le Monde présentait comme : “une des penseurs du nouveau monde”. À l’instar d’une philosophe comme Donna Haraway ou de l’anthropologue Anna Tsing, elle invite à penser autrement nos liens avec la nature et les autres espèces animales et végétales. Ses formidables livres et ses conférences sont des moments de beauté et de poésie, des exercices aussi de décentrement de l’homme pour retrouver le lien avec les non-humains et la nature, réapprendre à coexister, à co-évoluer.
Sa tâche ici a été d’interroger les pratiques architecturales, y compris les mots utilisés. Dans le cas du mycélium, vivant, elle récuse par exemple le terme de “production” évoquant plutôt des processus de négociations subtiles entre le mycélium et nous.
Dans la salle centrale du pavillon, on pénètre dans une structure spectaculaire (12 m de long, 6 m de large, 6 m de haut) faite en hêtre récupéré sur des arbres tombés en forêt de Soignes. La structure porte des murs formés de plaques de mycélium mélangé à de la paille et des copeaux de bois.

Le sol est en pisé fait à partir de terre de déblais bruxellois. Si tous les éléments sont issus du territoire urbain bruxellois, tout sera recyclé à Venise même.
La langue du mycélium
Dans les salles périphériques, on décrit le processus d’expérimentation et de fabrication du mycélium avec un incubateur et une presse pour former des briques qui sont capables de se souder ensuite ensemble. On imagine de placer un jour ce matériau vivant en hibernation pour pouvoir ensuite si nécessaire, le “réveiller” pour le réparer par exemple. On expose aussi, comme des tableaux abstraits, du cuir fongique obtenu à partir du mycélium ! Un pavillon qui est un vrai laboratoire du futur.

Vinciane Despret a rédigé (avec Christine Aventin) Demeurer en mycélium, un vrai livre en guise de catalogue, qui, à l’instar de sa récente Autobiographie d’un poulpe, est un récit d’anticipation, une expérience de pensée sur ce que le mycélium pourrait nous dire en dialoguant avec les micro-organismes de nos intestins par exemple. Dans ce livre, la frontière entre ce que les recherches actuelles révèlent déjà de fantastique et l’anticipation imaginaire est volontairement floue. Elle imagine que la langue du mycélium sera un jour étudiée en thérolinguisitique. “Tout le monde parle aujourd’hui de se reconnecter à la nature mais comment faire ? Que voir ? Nous devons apprendre à être sollicité par elle. Notre mode de vie nous empêche d’être sollicités par les autres vivants. Mes histoires veulent redonner l’envie d’être sollicité, de réveiller notre curiosité.”
Pour Venise, Bento s’est associé au designer Corentin Mahieu, à l’anthropologue Juliette Salme, au microbiologiste Corentin Mullender et a comme sous-traitant Permafungi producteur de mycélium basé à Bruxelles, à Tour & Taxis, qui promeut des matériaux à partir de champignons poussant sur du marc de café ou des déchets de bois.