Minorités LGBTQA + dans la ville : entre insultes et liberté d’expression
Comment les minorités sexuelles – les LGBTQA + et on en oublie – font pour exister dans l’espace public ? Au Design Museum, l’expo “Design Queer Graphics” s’ouvre la semaine de la Gay Pride.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/7fa700b2-2aff-43a7-adff-285a7df2c98b.jpg)
Publié le 19-05-2023 à 17h42
L’expo est ouverte au public depuis deux heures, peut-être et, déjà, des jeunes gens, bras dessus, bras dessous, des filles ensemble, des couples fille-garçon, – tout le monde quoi ! – déambulent le long des murs d’affiches de la nouvelle expo Brussels Queer Graphics du Design Museum.
Comment vivre ensemble et faire société quand on n’est pas dans la case hétérosexuelle normalisée ? Comment trouver sa place, sans se faire insulter ou minorer ? Comment trouver, aussi, des lieux qui accueillent, ou des publications qui parlent de ce qu’on est, de ce qu’on vit. C’est l’ambition de cette exposition, de redonner sa place aux minorités LGTQA + dans ce qu’elles participent à la fondation de l’espace public, comme toutes les minorités.
Une expo qui nous oblige, si on veut être honnête, à avouer que le mot “minorité” ne veut rien dire, parce que ce qu’il représente est loin de ne concerner qu’une poignée de gens paumés…
Quand on arrive en ville…
Si les murs de la ville sont souvent le support déversoir d’insultes envers les gens qui ne s’affirment pas dans l’hétérosexualité, les pédés et gouines, les bis et les trans marquent l’espace public et rappellent leur droit d’exister en tant que corps social et individuel.
Flyers, affiches, productions littéraires. On regarde, comme pour la première fois (comme si on n’avait jamais fait assez attention, osons le dire), ces affiches qui offrent un regard autre sur la virilité idéale. On tombe nez à nez avec une affiche de superhéros : Superman sauve une pauvre âme, … Classique… Mais, dans ses bras, pour une fois, il ne soupèse pas une donzelle mais un autre superhéros, rappelant que, dans la vie, on n’est pas obligé d’aimer/sauver/côtoyer, selon le modèle que nous assène la société.
”Regardez, on nous a réprimés pendant longtemps”
Évoquer les réalités des minorités, c’est parler, en fait, de la vie d’individus concernés par ces étiquetages à vie. Marian Lens est sociologue. Elle a signé la première thèse en Belgique sur la construction sociale du rapport homme-femme avant d’entrer dans le militantisme lesbien qui cherchait l’égalité de droit. “Je suis née en 1959. Quand j’étais jeune, Mai 68 était déjà loin ; le mouvement féministe battait de l’aile, il y avait un vrai retour en arrière.”
Née dans une fratrie masculine où sa mère lui préfère ouvertement ses frères, elle se rend compte de trucs qui clochent. Elle fait beaucoup plus que les hommes à la maison. Mais c’est surtout au moment où elle entame des études de socio qu’elle se rend compte qu’elle ne peut pas assister aux conférences le soir, tandis que les frères sont libres de leurs mouvements. “J’ai voulu m’intéresser à cette différence et qui était, selon moi, une construction sociale. J’ai dû claquer la porte de chez moi à 19 ans, pour vivre ma vie.” Enfin, on dirait plutôt : pour entamer un combat social et sociétal.
En 1982, à 23 ans, elle ouvre une librairie féministe, Artémis. Et la devanture de la librairie est là, en taille réelle, sur les murs de l’expo !

Non sans émotion, Marian s’adosse à la devanture du passé, pour les besoins de notre séance photo. “je suis de la génération “out and proud”, certes ; mais il faut se rappeler que c’était la première fois qu’on 'montrait' une lesbienne dans une vitrine. Les librairies alternatives ont toujours existé, mais elles se cachaient… Il faut se rappeler que, dans les années 80, on avait peur de rentrer dans une librairie alternative, homo. On avait peur de perdre son job, de connaître l’opprobre de la famille, de perdre ses amis… Même encore maintenant, ça reste difficile. C’est pour cela qu’il faut qu’on en parle, ce que fait cette expo est très important.
"C'est le paradoxe pour moi de devoir se sentir minorisé alors qu'en fait, on représente plein de gens."
La librairie Artémis va rencontrer un succès fou, ici et ailleurs, pendant près de 20 ans. Et Marian, sans s’en apercevoir, devient la référence intellectuelle de la pensée dite 'queer' (la terminologie anglaise intègre la pluralité des orientations sexuelles). Mais on imagine sans peine que ça n’était pas de la tarte d’avoir pignon sur rue. “J’ai eu tellement de démêlés avec la douane qui me posait des problèmes quand je venais dédouaner mes colis de livres. Je me suis fâchée contre les banques qui ne voulaient pas me prêter d’argent en tant que libraire. “Envoyez-nous un homme pour négocier” ; qu’on me répondait.”
”Je voulais démontrer qu’on avait des cerveaux, qu’on existait depuis des siècles. Grâce aux livres, j’ai pu dire que nous (les minorités sexuelles, NdlR) étions partout, dans toutes les cultures, dans toutes les époques. Que c’est naturel d’être soi-même, et que c’est la société qui a créé des boîtes : hommes/femmes ; hétéro/pas hétéro ; noir/blanc… Alors que les gens, eux, ils cherchent pour vivre et à être qui ils sont. Je suis pour un amour absolu. Qu’on puisse aimer qui on veut.”
-- > “Brussels Queer Graphics”, jusqu’au 5 novembre. Au Design Museum, sur le plateau du Heysel. Du lundi au dimanche de 10 à 19h. Infos : https ://designmuseum.brussels
-- > On file à la Pride, à Bruxelles. Des concerts, des visites guidées, des conférences. Tout public, le cortège de la Pride : départ, à 14h, samedi, du Mont des Arts. Toutes les infos sur www.brusselspride.eu