La Biennale de Venise, laboratoire du futur
Politique, artistique et studieuse, cette plantureuse Biennale d’architecture 2023, met en lumière les architectes africains ou d’origine africaine.
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Publié le 20-05-2023 à 09h48
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Une Biennale d’architecture comme celle qui vient de s’ouvrir à Venise, cumule trois caractéristiques. D’abord, un propos politique et sociologique fort, à la hauteur des enjeux que nous posent les crises multiples que nous traversons. Ensuite, un souci plus grand à chaque édition d’une présentation visuelle plus originale et frappante, proche d’une Biennale d’art, avec installations et vidéos époustouflantes. Et enfin, une Biennale d’architecture est une manifestation studieuse où le visiteur est invité à passer du temps, à lire les explications pour comprendre les dizaines de propositions que des architectes et parfois des artistes nous offrent.
Le propos de la commissaire Lesley Loko, première commissaire d’une Biennale d’architecture venue du Sud, est très clair pour cette édition intitulée Laboratoire du futur : “le geste essentiel est le changement”, dit-elle. Pour ses deux grandes expositions, au pavillon central des Giardini et à l’Arsenale, elle a sélectionné 89 participants, dont plus de la moitié est originaire d’Afrique ou de la diaspora africaine. Fait remarquable : l’âge moyen de tous les participants est de 43 ans seulement et 70 % des expositions sont le fait de cabinets dirigés par un individu ou une très petite équipe. On est aux antipodes des expositions des star-architectes.
L’urgence climatique s’impose partout et les deux thèmes de cette exposition sont la décolonisation et la décarbonisation.
Mourir à une vie
Lesley Loko a soigné l’entrée de ses deux grandes expos. Au pavillon central des Giardini, on découvre d’abord des formes rouges représentant chaque projet, accrochées au plafond formant une belle canopée rougeoyante qui invite déjà à voyager.

À l’Arsenale, elle a choisi la couleur bleue pour entrer dans le long bâtiment avec cette citation d’Anatole France mise en exergue : “Tous les changements, même les plus souhaités ont leur mélancolie, car ce que nous quittons, c’est une partie de nous-mêmes ; il faut mourir à une vie pour entrer dans une autre. ”
Le visiteur se retrouve alors dans un vaste espace sombre multiplié par des miroirs avant de pénétrer dans l’exposition même en passant sous un énorme écran avec un film montrant un Africain les yeux bandés. C’est là, entre beaucoup d’autres, qu’on retrouve les propositions de Sammy Baloji dont nous avons parlé dans nos éditions de samedi.
Les pavillons
Une Biennale ce sont les deux méga expos mais aussi les dizaines de pays invités qui exposent un projet dans leur pavillon. Nous avons déjà évoqué aussi le passionnant pavillon belge. D’autres pays ont choisi des propositions radicales.
Le pavillon Israélien a été entièrement muré pour cette Biennale, bouchant portes et fenêtres. Il faut alors aller à l’arrière, sur la terrasse, pour comprendre la démarche : le pavillon montre la multiplication de ces data centers, souvent gigantesques, fermés et invisibles, qui contiennent nos milliards de données.

Le pavillon allemand ressemble à un vaste chantier qui interroge le fait même d’une Biennale. Les sols sont creusés comme pour des fouilles, les murs ont été cassés. Dans toutes les salles, sont empilés des stocks invraisemblables d’objets et de matériaux les plus divers laissés par les Biennales d’art précédentes, inclus les toilettes. Des ateliers, sur place, recyclent ces vestiges.
Radicalité et simplicité au menu du pavillon suisse, le seul des Giardini qui a un mur mitoyen avec un autre pavillon, celui du Vénézuela. Pour marquer, lit-on, que “la concurrence entre les pavillons nationaux est une relique du passé” et que “la fixation sur la représentation nationale a rétréci nos horizons”, la Suisse a cassé son mur vers le pavillon vénézuélien ! “Nous n’apprenons qu’au contact des autres”, lit-on encore.
On retrouve un regard particulier vers les peuples indigènes ou trop oubliés. Le pavillon nordique remet en lumière à nouveau, comme il l’avait fait lors de la dernière Biennale d’art, le peuple Sami (les Lapons) et leur architecture.
Les pavillons brésilien et péruvien mettent en lumière les peuples de l’Amazonie. Une très belle scénographie au pavillon du Pérou, à l’Arsenale, évoque les marches en forêt d’enfants amazoniens.
Le pavillon autrichien remet dans l’actualité une proposition qui fut faite il y a plusieurs années de créer un petit pont piétonnier au-dessus du mur extérieur de la Biennale pour permettre aux habitants de plus en plus à l’étroit face à une Biennale qui prend de plus en plus d’espace de passer par les Giardini. Cette proposition fut jadis refusée par la Biennale.
Si la France rappelle que la “fête est finie” mais qu’on peut la réinventer, le pavillon turc à l’Arsenale, montre tous les travaux inutiles de la fièvre de construction sous Erdogan : ville fantôme, parc d’attractions jamais ouvert, . etc. Et des architectes montrent les possibilités qu’il y aurait de recycler ces lieux en écoles ou crèches.

Esthétiquement le plus beau pavillon est sans doute celui de l’Ouzbékistan, au bout de l’Arsenale. Il résulte d’un travail fait avec des étudiants architectes et archéologues pour montrer la richesse des ruines du passé et l’habileté des artisans qui créaient cet émail bleu si caractéristique sur les murs des temples et mosquées. Le visiteur pénètre dans un long labyrinthe, obscur, longeant des murs de briques, parfois émaillées, avec au milieu une vidéo et des documents d’une subtile beauté.
Biennale d’architecture de Venise 2023, jusqu’au 26 novembre