Picassiette ou Picasso ?
C’est sans doute par un hasard qui fait bien les choses que Raymond Isidore fut, par la force des faits, rapproché, par la bande, du maître du XXe siècle.
- Publié le 24-08-2023 à 14h11
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**** La Maison Picassiette Art brut
Où Maison Picassiette, 22, rue du Repos, 28 000 Chartres. 00.33.2.37.34.10.78
Quand Du mardi au samedi, de 10 à 18h ; le dimanche, de 12 à 18h. Entrée adultes : 9 euros. Entrée libre le samedi 16/9.
Une visite qui ne s’oublie pas ! Une visite et une découverte qui allient de facto originalité, charme, émotion. Les ingrédients d’une rencontre impromptue et tonique avec un univers qui doit ses plus sûrs atouts à l’ingéniosité, la détermination, la passion et la folie douce d’un homme simple qui, carrière en dents de scie à peu près faite, laissa libre cours à ses fantasmes les plus insolites.
Architecture qualifiée de naïve, sa maison, son jardin, son verger, tout l’entour émerveillent car il fallait avoir l’esprit à l’envers, ou, si l’on préfère, l’esprit différent pour se lancer dans pareille entreprise. Les “Inspirés des bords des routes”, comme les appelait le surréaliste André Breton, admirateur avec ses pairs de ces espiègles des rues et des villages, sont assez légion, encore de nos jours, mais rares, à l’instar d’un Facteur Cheval, sont ceux qui, tel Picassiette, auront laissé à la postérité un ensemble aussi convaincant.
Pourquoi ce surnom ?
Pourquoi l’a-t-on affublé du surnom de Picassiette ? Parce que Raymond Isidore (1900- 1964) s’est évertué, chemin faisant, à récolter ce qu’il trouvait en cheminant en sa qualité de cantonnier : bouts de tout et de faïence et porcelaine, débris de poteries, ferrailles. Ecumant les poubelles et les salles de vente, il récupéra tant et si bien des montagnes d’objets déclassés que, sans s’en faire une religion, sinon celle de l’audace constructive, il en enveloppa la maison que, quelques cinq ans plus tôt, il s’était bâtie à la seule force de ses mains et d’un imaginaire fécond pour y parfaire coins et recoins.
Issu d’une famille très modeste de huit enfants, Raymond Isidore fut sa propre école et c’est en autodidacte déclaré qu’il fit ses armes en tout, et d’abord en apprenant à jouer de l’accordéon. Lequel lui servira à égayer de musique les guinguettes bientôt orchestrées dans son jardin. Ni eau, ni électricité, pauvre comme Job, mais riche en lubies, ce même Isidore, qui jouait aussi au foot et créa l’Amicale des Marcheurs de Chartres, se le tint pour dit : sa maison serait son palais des mille et une nuits.
Entre-temps, il avait épousé Adrienne, une veuve, et fait siens les deux enfants qu’elle avait eu d’un premier mariage. Révolté par l’injustice d’où qu’elle vienne, Raymond Isidore fit donc de son mieux pour que sa petite famille se retrouve enchantée par ses réalisations plastiques. Car, comme les meilleurs praticiens de l’art qu’on dit brut, Raymond Isidore savait agencer les matériaux et les couleurs, n’hésitait pas à intriguer, à mélanger bondieuseries et compositions peu ou prou savantes. Et c’est tout naturellement que, pas forcément charitables comme lui, ses voisins le qualifièrent un jour de Pique Assiette, pas tant en référence à Picasso qu’à son originalité motrice : redonner vie à des bouts d’assiettes agencés entre eux comme autant de morceaux de mosaïque.
Inventeur de génie allumé
De caractère difficile, obnubilé par sa tâche explicite, petits boulots délaissés les uns après les autres, Pique Assiette devenu Picassiette (jeu de mot trop joli pour ne pas être adopté), fut toute débrouille pour confier un allant inédit à son domaine enchanté. Emoustillé par les perspectives, il fit du dehors comme du dedans une sorte de palace à nul autre pareil, inconfortable certes mais tellement attachant !
En 1954, Picasso soi-même lui rendit visite et Robert Doisneau s’en vint à Chartres lui tirer le portrait. Et il démissionna de ses tâches alimentaires, tout dévolu à cette oeuvre totale qui finit par le dépasser et lui fit perdre la raison. Un matin de septembre 1964, on le retrouva mort dans un fossé. Adrienne lui survécut et resta à demeure, dans ce palais des rêves d’un homme halluciné, jusqu’en 1979. En novembre 1981, la Ville de Chartres acheta la maison. D’abord classée Monument historique, celle-ci fut, en 2016, labellisée “Patrimoine du XXe siècle”.
Sculptures, peintures, bas-reliefs, de Mona Lisa à Landru, aux cathédrales de Chartres et de Paris, on ne peut que sourire d’aise au coeur même de ce monument voulu par un inventeur de génie très allumé.