Skender Hyseni et les entrailles de la terre
Volumes compacts et massifs, les terres de Skender Hyseni nous conduisent au cœur de la matière. Un travail minimaliste d’une sobriété qui submerge.
- Publié le 11-09-2023 à 14h42
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La galerie Zedes rompt avec sa ligne de programmation pour défendre un artiste hors catégorie, Skender Hyseni. Une prise de risque que l’on félicite. D’abord parce qu’elle appelle courage et audace. Plus encore parce que ce nom, Skender Hyseni, s’inscrit dans notre histoire personnelle. Privilège du métier, les échanges avec les artistes contemporains font partie de notre quotidien. Il y a vingt ans, Skender Hyseni fut le tout premier plasticien que j’eus l’opportunité de rencontrer. Le retrouver ici prend dès lors une dimension singulière.
Skender Hyseni (né à Puke/Albanie en 1968, vit et travaille à Bruxelles) explore l’abstraction, s’interrogeant continuellement sur le monde, sur l’aspect répétitif de la vie, sur la notion de contenu-contenant ainsi que sur l’articulation. L’artiste aime contredire la matière en elle-même, aller dans le sens contraire d’un matériau sans forme ni qualité esthétique pour en faire un objet d’art. Longtemps, l’homme travailla le bois : “Devant ma maison, il y avait une grande scierie. Chaque jour, de gros camions déchargeaient d’énormes troncs d’arbres qui occupaient une étendue de plusieurs hectares. Je restais des heures à la fenêtre pour observer le traitement du bois. Au fil des jours sortaient de la scierie des planches équarries qui s’entassaient en bloc de largeur et de hauteur aux dimensions impressionnantes d’un immeuble de 6 ou 7 étages. J’ai grandi. J’ai vu disparaître la forêt. Et j’ai quitté mon pays. ” Ses œuvres récentes explorent une nouvelle matière, la terre. Mais pourquoi a-t-il abandonné le bois, ces rondins bruts et sans artifice (à son image), auxquels il semblait avoir prêté allégeance ?

Skender Hyseni nuance : “On associe souvent sculpture et matière. Or, la matière ne m’a jamais intéressée. Toutes ont déjà été exploitées. Je me concentre uniquement sur l’histoire que je veux raconter. À partir de là, je choisis la matière en lien avec l’idée que je veux développer. ”
Germes du monde
Choisir de travailler la terre, c’est reproduire des gestes originels. S’inscrire dans la grande histoire de la sculpture. Mettre ses pas dans ceux du premier homme qui prit une boule de terre pour la façonner à sa manière. En travaillant la terre, Skender Hyseni fait corps avec la nature. il explore des volumes et des masses non-figuratives qui partagent un rapport très physique à la substance mais aussi une dimension matricielle. Certains volumes nous évoquent des cavités nourricières qui portent en elles les germes du monde. La matière s’étire et s’enroule sur elle-même. Toute la subtilité des pièces présentées se lit à même la surface, telle une peau marquée de son histoire que l’on élucide à travers les rides, les stigmates, les cicatrices… Certains enchaînements rappellent l’écriture cunéiforme, familière et mystérieuse. Indéniablement, cet ensemble dégage un caractère archéologique, l’apparence de trésors gallo-romains. “Mes œuvres contiennent différents niveaux de lecture. À travers ces pièces, je convoque autant mes souvenirs de la terre natale, de la terre nourricière du village de mon enfance (ceux que le temps magnifie), que celui de la terre originelle et universelle, en passant par des questions très actuelles telles que la pollution. ” Un travail que l’on peut lire sous le prisme du sentimentalisme ou de la dénonciation. L’artiste poursuit son éclairage : “Je suis fasciné par les choses, les formes qui apparaissent très simples. C’est souvent à cet endroit que se cache la difficulté. ” Des masses universelles et intemporelles tout droit sorties des entrailles de la terre.
Certains volumes nous évoquent des cavités nourricières qui portent en elles les germes du monde.

Aux cimaises, quelques toiles complètent la présentation. Flottant librement, ces œuvres d’une grande subtilité répondent aux pièces en volume. L’artiste travaille une gamme chromatique limitée aux terres et aux ocres. Des pigments et une mise en œuvre qui rappellent la peau, le cuir, le vélin et d’autres formes de parchemins. Encore et toujours ce retour à la substance primitive.
Skender Hyseni Sculpture Où Zedes Art Gallery, Rue Paul Lauters 36, 1050 – Ixelles www.zedes-art-gallery.be Quand Jusqu’au 21 octobre, du mercredi au vendredi de 12h à 18h, le samedi de 14h à 18h.