Chez Lina et Paul Cauchie : quand le patrimoine change de propriétaire
Le patrimoine ne dort pas sur ses lauriers. À la maison Cauchie, à Etterbeek, la guide Alice Graas regarde l’Art nouveau très sérieusement avec un œil nouveau.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/7fa700b2-2aff-43a7-adff-285a7df2c98b.jpg)
- Publié le 14-09-2023 à 16h10
- Mis à jour le 14-09-2023 à 16h11
:focal(1476x1338:1486x1328)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/DNZ44NF5W5F67CAOZBVXHWZD44.jpg)
En haut des marches de droite, Alice Graas nous ouvre la porte, alors qu’on n’a pas encore appuyé sur le bouton de la sonnette. Elle est littéralement dans les murs, Alice. Les escaliers de gauche semblaient aussi mener à une porte d’entrée, “mais en fait, non, la porte cache un petit placard”, nous révèle notre guide, incollable connaisseuse des lieux. “Les concepteurs ont voulu une façade symétrique”, – même si la symétrie n’est pas une caractéristique de l’Art nouveau, “sauf, peut-être, pour l’hôtel Tassel” – , d’où les volées d’escaliers en miroir. Cependant, ce qui marque l’attention de notre guide, en regardant la maison Cauchie de face, ce sont les deux cadres publicitaires en sgraffite.

”Monsieur et Madame Cauchie, décorateurs – Cours privés d’arts appliqués. Peintures, dessins, broderies d’art”, peut-on lire à gauche. Le pendant publicitaire, à droite, indique : “Ateliers Cauchie. Installations transformations d’intérieurs et de façades”. Pour Alice Graas, anthropologue et guide depuis 2017 à la Maison Cauchie, il y a là quelque chose qui mérite d’être souligné. La présence de Madame Cauchie, d’entrée de jeu.
Qui a sauvé le patrimoine ?
C’est l’un des nouveaux enjeux actuels des tenants du patrimoine que de trouver des lectures qui permettent de le relire, à l’aune des questionnements actuels. Et pour Alice Graas, c’est une nécessité. Lorsqu’elle entame son travail de guide bénévole dans les murs, il y a 7 ans, elle se saisit d’une documentation sur la maison de 1905 essentiellement composée par les premiers acquéreurs de la maison, Guy et Léona Dessicy.
”Le couple achète la maison en 1980 à Suzanne Cauchie, dont on a compris qu’elle avait un intérêt limité pour la maison” conçue par ses parents. Suite au décès de sa mère, en 1969, la fille Cauchie rachète le lot sis au numéro 3 de la rue des Francs, elle a alors l’ambition “de raser la maison Art nouveau bâtie par ses parents pour faire ériger un immeuble à appartements qui serait bien plus rentable”. Le projet immobilier tombe à l’eau quand “la façade, la toiture, une partie des menuiseries intérieures et extérieures sont classées en 1975”. Suzanne se désintéresse de la maison parentale, jusqu’à ce que les Dessicy la sollicitent pour la racheter. Ce coloriste d’Hergé et son épouse sont tombés amoureux de la maison, attirés par cette façade pourtant en fort mauvais état. Ils ont l’intention de la restaurer pour la donner à voir, chaque dimanche du mois, aux visiteurs intéressés.
Dans les années 80, le patrimoine est loin d’avoir le vent en poupe. Les Dessicy prennent à leur charge la médiation de cette maison, qui leur réserve des trésors cachés. Sous les papiers peints posés dans les années 60 au bel étage de la maison parentale, on redécouvre des pans de mur entiers décorés de sgraffites. La décoration originelle de cette maison Art nouveau. La signature professionnelle du couple d’artistes propriétaires. Ce qui nous ramène à la publicité en façade… “Les Cauchie ont acheté spécifiquement ce lot sis au numéro 5, pour être face au parc [du Cinquantenaire], et pour faire connaître leurs activités dans les arts appliqués”.

Qui est l’auteur du patrimoine ?
La publicité à la porte, faisant mention de Madame Cauchie, pousse notre anthropologue à des recherches sur la personnalité de Caroline Voet (1875-1969), devenue Lina C. Qui a fait l’Académie des Beaux-Arts, qui a reçu de nombreux prix et bourses. Malgré tout, “jusque-là, quand on faisait visiter, on parlait du travail de Paul Cauchie, des dessins de Paul Cauchie. On a fait une expo sur les toiles de Monsieur Cauchie, jamais sur ses peintures à elle”, alors qu’elle peint encore, dans son atelier du 2e étage, jusqu’à la fin de sa vie. Son atelier devient son lieu de vie.

La manière dont on raconte la Maison Cauchie aurait-elle oblitéré une partie de son génie créateur, à savoir Lina elle-même ? “Tout le discours que j’avais créé jusque-là était basé sur une série de biais du discours. Un discours qui pouvait 'shifter'. Ne plus dire Paul Cauchie, mais Paul et Lina Cauchie”.
”Nous avons peu de documentation, certes. Six photos de 1906, pas de factures, pas de journal intime”. “Nous avons cependant répertorié 800 sgraffites des Ateliers Cauchie en Belgique. Une activité que Paul Cauchie n’a pas pu réaliser seul au cours de sa carrière de décorateur”, ce qui souligne la nécessité d’un travail collaboratif, avec sa femme – qu’il place sur la réclame avec lui – , mais aussi avec d’autres artistes.
C’est peut-être la raison pour laquelle il est nécessaire, encore, de parler d’Art nouveau en 2023, conclut Alice Graas. “Jusque-là, l’histoire de l’art avait valorisé les concepteurs comme Victor Horta”. Un discours neuf sur l’Art nouveau permet de “mettre l’accent sur les constellations autour des architectes, et donc les artisans qui ont travaillé avec eux”. Voire, même, les femmes artistes”.

-- > La visite guidée avec Alice Graas qui aura lieu ce samedi est victime de son succès au moment où notre reportage paraît. Cette visite, qu’on ne vous a volontairement spoilée, peut être demandée auprès des guides de la maison tout au long de l’année. La maison ouvre ses portes tous les premiers samedi et dimanche de chaque mois. Infos : https://cauchie.be