Journées du Patrimoine : comment ça, Art nouveau ? Qu’a-t-il de nouveau ?
À l’occasion des Journées du Patrimoine qui, ce week-end, sont consacrées à l’Art nouveau dans la capitale, on cherche à poser sur cet art un œil neuf. Quelles définitions en a-t-on ? Et quel discours lui accole-t-on ?
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/7fa700b2-2aff-43a7-adff-285a7df2c98b.jpg)
- Publié le 14-09-2023 à 16h09
- Mis à jour le 14-09-2023 à 16h11
:focal(506.5x389:516.5x379)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/RGZBH34OFRFT3CYV5JVGP3GU2Y.jpg)
Benjamin Zurstrassen est conservateur au Musée Horta. Avec lui, on prend le temps des définitions sans provocation mais l’Art nouveau, c’est quoi, et pourquoi on en parle 130 ans après son invention ? En 1893, Victor Horta faisait ériger l’hôtel Tassel, à Ixelles, premier geste architectural de cet art neuf dans l’œil de ses contemporains.

Pourquoi l’Art nouveau était-il nouveau ? Et comment le comprendre 130 ans plus tard ?
C’est nous qui, aujourd'hui, l’appelons “Art nouveau”. Ce courant a commencé à être appelé ainsi dans les années 1890. Une “Galerie de L’Art Nouveau” est ouverte par un certain Siegfried Bing, à Paris, qui expose, pour la première fois, du mobilier “des arts appliqués”, comme on disait à l’époque. Ce qui était tout à fait novateur. Et il appelle cela “Art Nouveau”. Il exposait d’ailleurs énormément d’artistes belges, quelques artistes américains. Edmond Picard, personnalité importante de la Belgique du début du XXe siècle, utilise l’expression “Art Nouveau” dès 1884.
Un art aussi différent de ce à quoi les contemporains étaient habitués, à savoir le “Néogothique”, le style néorenaissance, était tellement surprenant et étrange qu’on ne savait pas très bien comment l’appeler. En Allemagne, on l’appelle “Jugendstil”, littéralement le “style jeune”. Il est arrivé en Allemagne grâce à un Belge, Henry Van de Velde, et donc on l’appelle quelquefois style Van de Velde. Toutes les étiquettes qu’on a collées à cette grande nouveauté à la fin du XIXᵉ montrent à quel point le public n’était pas préparé à un langage de formes aussi spectaculairement révolutionnaire et inédit. D’ailleurs, “la Galerie de L’Art Nouveau” en 1895 a fait scandale : Rodin est sorti du vernissage en disant que c’était un style barbare.
Toutes les étiquettes qu’on a collées à cette grande nouveauté à la fin du XIXᵉ montrent à quel point le public n’était pas préparé à un langage de formes aussi spectaculairement révolutionnaire et inédit.
C’est un art qui renverse, qui fâche les esprits. Parce que, tout à coup, c’est un art qui ne s’intéresse plus simplement aux architectures politiques ou religieuses mais qui s’intéresse aux architectures du domestique, de la famille ?
C’est un art très contagieux. Qui va toucher l’architecture, les affiches, le mobilier, les objets… À partir de 1900, il se popularise et contamine le graphisme, les objets du quotidien. Les classes moyennes commencent à se l’approprier alors que dans la fin des années 1890, c’était surtout la bourgeoisie, plutôt franc-maçonne progressive, et aisée, qui en était commanditaire.
Pour quelles raisons cet art émerge-t-il sous cette forme ? Quels sont son sens et son utilité ?
Il répond à une question qui commence déjà en 1851. En 1851, à Londres, a lieu la première Exposition universelle. Les critiques sont excessivement choqués : c’est la première fois qu’on voit, dans un seul endroit, toutes les créations industrielles des quatre coins du monde. Et tout ça est très laid. On a des moyens d’industrialisation exceptionnelle pourtant. Mais ce qu’on voit exposé n’est pas du tout rationnel, pas du tout fonctionnel et c’est cher ! [Le néogothique, néoroman, NdlR]. Ça ne correspond pas non plus aux classes laborieuses. Un premier mouvement de réforme commence en Angleterre à partir de 1860, dit “Arts and Crafts”. La réponse qu’apportent la Belgique, la France, l’Allemagne, une à deux générations plus tard, à partir de 1890, peut s’apparenter à l’Art nouveau.
Ce qui est très déterminant ? Ses formes n’empruntent rien au passé ou très peu. Certains artistes, comme Horta, gardent la touche artisanale qui s’inspire de la nature, tout en utilisant des matériaux et des formes inspirés du monde industriel, tandis que d’autres, comme Serrurier-Bovy, vont dire que les machines sont là pour nous aider. Qu’on peut concevoir industriellement des meubles qui soient beaux et utiles.
Avec L’art nouveau, il y a cette notion utilitaire ?
Chaque région en Europe aurait sa propre définition de l’Art nouveau. On est parfois un peu aveuglé par les arabesques, par les courbes mais derrière ce langage décoratif se cache un rationalisme. C’est la raison, d’abord, le mode de vie du client. La cuillère doit être agréable à prendre en main.
Il y a une réflexion véritable. Victor Horta écoutait scrupuleusement la commande du client : “le programme”. Le maître d’ouvrage aime-t-il recevoir ? Combien a-t-il d’enfants ? Combien de domestiques ? Si les intentions initiales sont de faire du sur-mesure, d’un autre côté aussi, il s’agit de créer quelque chose qui touche le plus grand nombre.
L’Art nouveau prend à certains endroits : à Bruxelles, Nancy, Riga, à Barcelone, Helsinki. Pourquoi ici et pas ailleurs ?
Si on regarde la carte des différentes capitales de l’Art nouveau, ce sont des capitales de régions qui ont une entité forte et, en même temps, une prospérité économique. Des capitales de jeune États. Ce sont aussi des villes qui ont un héritage artistique et historique moins lourd à porter, qui sont donc plus libres. Prenons l’exemple de Paris qui connaît le poids du grand XVIIIᵉ : cet héritage s’accompagne d’un discours politique unificateur et centralisateur. C’est, par conséquent, un espace moins propice à la naissance de l’Art nouveau, qui n’a cependant pas interdit l'émergence de personnalités comme Guimard.
Quelle utilité de mettre en évidence l’Art nouveau en 2023 ?
C’est justement un sujet qui peut nous parler aujourd’hui. Qui propose une réflexion sur une création, sur l’espace, la lumière, la couleur, la texture. Tous ces éléments qui nous parlent aujourd’hui. À la fin du XIXe, certains enjeux sont similaires à ceux d’aujourd’hui. On oublie souvent que, déjà, à l’époque, l’industrialisation galopante faisait peur. On considérait que ça détruisait la beauté de sites naturels. La ville était considérée comme une menace. Les notions écologiques ne sont pas éloignées. Les préoccupations sociales étaient importantes aussi : c’est une époque faite de grèves ouvrières. Cet idéal de réformes est lié à la volonté de défendre les classes moins aisées. Ce qui fait écho à notre époque.
--> Tout savoir sur le programme (visites guidées, ouverture de lieux exceptionnels) des Journées du Patrimoine de ces 16 et 17 septembre. Infos : https://heritagedays.urban.brussels/fr/.
--> À noter, le dimanche 17 est la Journée sans voiture dans Bruxelles : les transports en commun seront gratuits.