Trio gagnant au Bota
Boris Thiébaut dans le Museum, Aymeraude du Couëdic dans la Galerie, Alexandra Mein dans les Serres : trois personnalités, trois chocs visuels, une réussite !
- Publié le 15-09-2023 à 11h38
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À tout seigneur, tout honneur : Boris Thiébaut occupe tout l’espace du Museum et c’est peu dire qu’il l’occupe de haut en bas, ou son contraire, en se l’accaparant à sa manière forte, à la fois presque minimaliste et pourtant expansionniste.
Né à Charleroi en 1981, Thiébaut vit à Bruxelles et sa carte de visite est éloquente qui le verra, cette année encore, chez Baronian, et qui l’a vu se partager, cette dernière décennie, notamment entre le Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, et Glasgow, Marseille, Liège, Anvers avec aussi, mention particulière, le BPS 22 à Charleroi (en 2015), là où Grégory Thirion, responsable des expositions du Bota, l’a déniché et s’est alors promis de lui offrir son vaste espace bruxellois.

Boris Thiébaut a manifestement besoin de s’éclater en grand, de se répandre entre geste qui en jette, dessins aimantés dans des caisses en acier, sculptures façonnées autour de son légendaire bonnet. L’impact visuel est convaincant, qui vous emmène immédiatement au large de toute pièce trop précise, comme pour vous envelopper de sa profusion graphique, d’une part, geste ample et large brosse, de ses dessins au graphite plus intimistes, d’autre part.
”En matière de dessin, je m’inspire de dessins automatiques. Dès l’école, je fonctionnais en dessinant, puis à l’ERG. Du dessin à la fois gestuel et figuratif. Et j’ai toujours dessiné en téléphonant. Je favorise une sorte de geste pictural avec de larges brosses et toujours avec un rapport entre un questionnement autour du geste, du langage écrit ou dessiné. Ces balises me tracent un territoire et un dessin proche de l’art brut, du graphisme, de la BD.”
Cri du coeur : “J’aime bien le geste ! Mais, en peinture, c’est plus ardu. Le lâcher-prise n’y est pas évident.” Au rez-de-chaussée du Museum, nous sommes entourés de dessins au graphite, de peintures (quelques rares), de collages et d’arrachages. “Le support papier permet un langage direct. Cela part du geste, première étape et, après, je creuse dedans.”
Un mur blanc sur noir
Extrait de ses dessins automatiques, agrandis, tout un mur s’avance, impactant, blanc sur noir. Vous voilà scotché littéralement, car l’impact est vif. “J’ai travaillé comme sur une feuille de papier et, après un travail sur ordi, j’ai étiré le motif sur les cimaises afin de créer un jeu d’interpénétration entre les deux étages et les dessins encadrés.” D’où un univers diffus, direct, sauvage.
Les petits dessins encadrés nous ramènent aux débuts du travail de Thiébaut, à ses dessins automatiques. Lui avaient alors servi des feuilles qui trainaient sur son bureau, des bribes de lettres, et ses gestes au fur et à mesure de ses conversations téléphoniques. Une sorte de journal en somme, de travail aussi sur la durée. “J’aime aussi – dit-il – le côté intimiste d’une approche, laquelle peut ensuite devenir monumentale : “Every Minute is Lettered”. J’aime l’anglais comme langue étrangère car, visualisé, l’anglais développe d’autres images, quelque chose de poétique.”
Les petites sculptures, posées sur des socles, ont été travaillées l’hiver dernier. Un ouvrage sur son bonnet, ses bonnets étant enfouis dans le plâtre. Une sorte d’approche burlesque et brute de décoffrage. À l’étage, Boris Thiébaut expose des petites peintures sur bois. On y ressent la recherche du geste, de l’écriture. Noires, elles sont peintes à l’acrylique avec de la gomme et de la laque. Les accompagnent deux grands dessins oeuvrés à la grosse brosse de nettoyage. Des vues mentales, presque aquatiques.
Dans un espace, celui du Museum, pas simple du tout à gérer, Boris Thiébaut, malgré quelques nuits blanches s’en est fort heureusement bien tiré. Le visiteur ne doit pas craindre de se laisser aller à rêver entre les traits, les ponctuations, les envolées graphiques autour de murs qui, sans doute, n’en reviennent toujours pas de pareilles circonvolutions aussi heureuses qu’audacieuses.
Entre lumière et floraisons
Alexandra Mein, née en 1979, à Bruxelles, où elle vit, a promené sa bosse (qu’elle n’a pas, on vous rassure), en Thaïlande et aux Etats-Unis et présenté quelques belles expos personnelles, notamment à l’ArchiRaar Gallery et au Hangar, dans sa ville natale. Elle occupe les serres du Bota, tout récemment rénovées, aux espaces redéfinis dans la sobriété, les vitrages de l’ancienne serre botanique, ajustant à merveille une lumière bienvenue sur des pièces sculptées qui rivalisent d’aisance avec les plantations du parcours.

Figuiers, lauriers, oliviers, palmiers, citronniers, quoi que dépourvus de fruits, amènent sous le ciel bruxellois des airs de sud jamais à négliger, sauf en cas de canicule comme ce le fut en ce début septembre. Travaillées sur corps, en plâtre cimenté, les Diffractions d’Alexandra Mein – sculptures et photos – nous incitent à la réflexion sur ce qui est distordu. D’où ces bouts de corps aux apparences complexes, alambiquées. Des miroirs y sont inclus, souvent au milieu des pièces susdites, ce qui confère à ces diffractions des prolongements, des inattendus.
Dans La vague, par exemple, on peut distinguer deux corps qui semblent bouger, réfléchis opportunément. Et le Botanique a acquis l’une de ses pièces pour une présentation pérenne de ce travail inédit. Travail qu’accompagnent des photos en relation avec les cercles de la vie. Petite épine dans le pied de l’artiste : ici, il n’est pas possible de tourner autour de ses ouvrages comme ce l’est d’ordinaire, le mouvement étant la dynamique essentielle de ses sujets. Des sujets qu’il revient à chacun de nous de percevoir par rapport à notre propre histoire.
Bon à savoir : “Mes sculptures ne représentent pas des amputations, elles sont comme des racines. Les pôles d’une dualité. Car, il y a toujours deux personnages en chacune d’elles : on s’accorde ou on se sépare. Il y est question mêmement d’équilibre et de déséquilibre.”
Alexandra Mein ne donne pas de visage à ses corps car – dit-elle – “le visage trompe l’ensemble”. Or, comment représenter l’autre, étant entendu que l’on se projette soi-même dans la représentation ? Cette éloquente exposition rassemble des marbres récupérés et des bronzes, tandis que ses photos confrontent ses sculptures et celles du parc à l’entour. Elle avoue aussi avoir subi l’empreinte de son grand-père sculpteur.
Panoptique d’Aymeraude du Couëdic
Dans la galerie, Aymeraude du Couëdic, née à Paris en 1995, mais qui vit, elle aussi, à Bruxelles, et a, en 2022, obtenu une Mention spéciale du jury au Prix Elisabeth Burdot (Galerie Marie-Ange Boucher) et bénéficia de résidences au Botanique et à la Fondation Moonens, a disposé une installation de panneaux nourris de portraits au fusain sur toile. Une sorte de contraste frappant entre une technique de bel âge et un propos résolument actuel.

C’est notre société de 2023 qui s’agite peu ou prou sous le fusain d’Aymeraude, la disposition des panneaux dans l’espace reconfigurant une galerie qui éprouve souvent du mal à attirer le chaland. Il devrait en être autrement cette fois, la proposition de cette artiste, jeune et souriante, étant à même de nourrir les dialogues et de pousser chacun à s’interroger sur un monde qu’il croise en permanence.
Capturés par l’appareil photographique ou la vidéo, ces hommes et ces femmes en train de marcher nous renvoient à notre dynamique personnelle dans un univers qui s’interroge, toujours davantage, sur sa raison d’être d’un monde en perpétuelle inquiétude du lendemain.
Les images d’Aymeraude du Couëdic sont nettes : elle a voulu que le soient les visages et les regards de ses intervenants. Vingt-quatre fusains et, au-dessus de leurs têtes, des références au regard divin qui nous contrôlait hier encore. Et ce n’est pas fini ! Car, quel qu’il soit, nous sommes, n’est-il pas vrai, contrôlés en permanence et plus que jamais !
Thiébaut, du Couëdic, Mein Art actuel Où Botanique, 236, rue Royale, 1210 Bruxelles. www.botanique.be Quand Jusqu’au 29 octobre pour Thiébaut et Mein ; jusqu’au 15 octobre pour du Couëdic Parution d’un Livre d’artiste de Boris Thiébaut, “Untitled : (Same object, different speeds”, 160 pages illustrées.