Pas de vie sans nuage
Sous titré «Lettres à mon fils», Marion Hänsel tourne un film le nez en l'air en pensant à son garçon et au spectateur qui en fera ce qu'il voudra
- Publié le 15-10-2001 à 00h00
Réalisation et scénario : Marion Hänsel. Images : Didier Frateur, Pio Corradi. Musique : Michael Galasso. Son : Henri Morelle. Montage : Michèle Hubinon. 1h16
Un film qui provoque un irrépressible besoin de lever le nez en sortant de la salle relève forcément d'une expérience cinématographique inhabituelle. Ni fiction, mais on nous raconte une histoire, ni documentaire, mais on y voit les masses gazeuses sous toutes les formes possibles et (in)imaginables, «Nuages» de Marion Hänsel est ce que chaque spectateur en fera.
Suivant son humeur, sa disposition d'esprit, ses préoccupations, son naturel, ce sera une rêverie, une contemplation, une réflexion, une prise de conscience, un concert même, car chaque séquence a été composée à même la toile par Michael Galasso, le musicien de «In the mood for love».
CUMULUS, NIMBUS, STRATUS
Sous titré «Lettres à mon fils», «Nuages» est rythmé d'une dizaine de courtes lettres, toutes lues très sobrement par Catherine Deneuve. De la grossesse au départ imminent, en passant par l'instant d'angoisse de l'avoir perdu ou le tiraillement entre le jeu et le travail, elles racontent en quelques moments cette relation entre une mère et son fils. Très intimes, elles sont aussi très universelles, dans le sens mère-enfant, comme dans l'autre.
Entre ces flashes, la réalisatrice belge a filmé des nuages. De la sérénité à la colère en passant par la joie, la tristesse ou l'inquiétude, il y a des nuages pour chaque sentiment, pour chaque humeur; de la brume aux cumulus en passant par l'orage et les cirro- stratus, on peut y voir beaucoup de choses y compris nos émotions.
On voit aussi la propre nature de la cinéaste s'interroger dans son rapport au monde, confrontant les nuages divins à ceux des hommes, s'échappant des avions ou des cheminées d'usine.
MIROIRS ET PINCEAUX
On voit aussi sa nature esthétique, abandonnant le terrain de l'émotion naturelle pour placer entre les pupilles et ces amas de vapeur d'eau des filtres de plus en plus sophistiqués. C'est d'abord le miroir. Les nuages se reflètent sur l'eau frissonnante des lacs, les façades de verre des tours, les vitres bombées d'un train en mouvement. La peinture ensuite: les nuages prennent la direction des musées, s'immobilisent sur les toiles de Turner, Delacroix, Magritte et tant d'autres, pour goûter enfin aux plaisirs de l'immortalité, vivre une vie sans nuages.Pourtant, ce sont les nuages qui donnent du relief à une existence; quoi de plus monotone qu'un ciel perpétuellement bleu, sans baleines volantes, sans ptérodactyles échappés de la préhistoire, sans troupeaux de moutons roux caressé par le soleil couchant, sans ce tapis de tulle à fleurs des champs, sans ces sculptures d'air ciselées par le vent?
Pas de vie sans nuages.
© La Libre Belgique 2001