Piet De Rycker, l'art de conter en images

PAR ALAIN LORFÈVRE

Un Belge qui fait son trou dans le cinéma d'animation international, ça existe? Oui, et ce n'est pas de feu Peyo qu'on parle, nom d'un Schtroumpf! Depuis dix ans, le Bruxellois Piet De Rycker, associé au réalisateur allemand Thilo Graf Rothkirch au sein de Cartoon Film, est petit à petit en train de démontrer qu'il est possible de faire du cinéma d'animation grand public en Europe.

Au fil des ans, le studio allemand est devenu une structure digne des grands studios américains, capable de mobiliser 300 animateurs - tous européens! - sur un long métrage produit par la filiale allemande de la Warner... et qui attire le public dans les salles. «Cela nous a pris dix ans pour y arriver constate, enthousiaste, ce fringant néerlandophone. Après six, sept ans, avec «Plume, le petit ours polaire», nous avons convaincu les gens de venir voir nos films pour l'originalité de nos histoires. Nous sommes d'ailleurs ravis que Warner Germany nous permet d'adopter notre propre style. Notre premier film «Tobias Totz et son lion» avait été comparé à la production américaine. Le premier «Plume» aussi. Avec «L'étoile de Laura», une prise de conscience a commencé à se faire. Mais nous étions encore comparés aux Américains et au Japon. Mais pour «Plume 2», qui vient de sortir en Allemagne, la comparaison se fait enfin par rapport à nos propres films. Mais le plus important reste la réaction des enfants.»

Piet De Rycker pourrait parler de son boulot pendant des heures, tant il en est amoureux. En près de vingt ans d'activité, il a mûri une philosophie de ce que devrait être l'animation en général, et européenne en particulier. Pour lui, qui a réalisé dans les années 80 des storyboards sur la série télévisée «Quick et Flupke», ce découpage dessiné du scénario est fondamental. «On ne se contente pas de traduire un scénario en image, on donne vie à une histoire. Un scénario peut marcher sur le papier et pas à l'écran: combien de films ne voit-on pas comme ça! Il faut être capable d'améliorer le film en cours de route. Mais cela signifie: argent, temps et attention pour les storyboarders. Et une poubelle!» C'est ce qui fait à ses yeux la force des productions de Cartoon Film - comme de Pixar aux Etats-Unis: «Un bon exemple de ça est le cas des films «Fourmiz» (DreamWorks) et de «1001 pattes» (Pixar). Le premier est un film de scénario, le second est un film de storyboard: cela se sent au rythme et au contenu. Chez Pixar, on laisse le storyboarder suivre l'inspiration générale. Si un personnage secondaire a un potentiel, ils n'hésiteront pas à modifier l'histoire pour le faire monter en puissance. Il y a dix ans, j'ai amené Thilo à croire en ce système qui n'est pas «normal» dans l'industrie. Car c'est plus rassurant de suivre le scénario à la lettre. Mais il faut pouvoir jeter 40 pc de celui-ci en cours de route pour faire évoluer la dynamique du film.»

LA RÉALITÉ DES ENFANTS

L'autre point qui distingue Cartoon Film concerne les sujets abordés. Piet De Rycker et Thilo Graf Rothkirch veulent fermement faire des films accessibles aux enfants dès l'âge de trois ans. «On voit tout le temps dans les dessins animés au cinéma ou à la télévision des scénarios d'aventures où le héros est confronté à des méchants. Mais est-ce la réalité des enfants? Non, ce n'est pas leur monde. Nos héros sont confrontés à un antagonisme abstrait. Dans «L'étoile de Laura», c'est une petite fille qui déménage en ville, perd ses repères et ne parvient pas à communiquer avec son entourage. L'étoile lui offre un réconfort, mais elle devra apprendre à s'en passer pour trouver son équilibre. Ce sentiment d'incompréhension et de solitude, on l'a tous vécu. Même si l'enfant ne peut pas analyser ce message, il peut le comprendre. C'est aussi pour ça que nous avons tenu à ce que le décor soit le plus réaliste possible et jamais «dramatique». «Plume 2» se passe aux Galapagos, là c'est une réflexion sur la notion du dernier paradis naturel.»

Enfin, troisième caractéristique de Cartoon Film, son ancrage européen qui va jusqu'à refuser la délocalisation de certaines étapes de l'animation en Asie - où la main-d'oeuvre est moins chère: «Nous voulons garder la totalité de la production en Europe, même si les coûts de réalisation sont un peu plus élevés. Nous avons un meilleur contrôle de la qualité et une touche européenne. Les animateurs asiatiques sont très bons, mais ce qu'ils font est toujours de l'interprétation de ce qu'ils pensent être les attentes de leur commanditaire et du public européens. Mais il nous a fallu du temps pour arriver à cette crédibilité... Et ce qui est sûr, c'est qu'on peut peut-être encore constituer un ou deux studios comme le nôtre, mais pas plus, parce que les talents sont limités.»

Et, au fait, lui qui fut formé à l'Institut Saint-Luc de Bruxelles et à l'Académie royale des Beaux-Arts de Gand recourt-il à des talents belges? «Nous utilisons quelques animateurs belges. Pour le premier film avec Cartoon Film, nous avions une aide publique qui imposait que l'argent soit dépensé en Belgique. Nous avions donc gardé une partie de la production ici. Après, les productions sont devenues 100 pc allemandes. A priori, ils n'avaient plus besoin de nous, mais ils m'aimaient bien ainsi que le travail de l'équipe, donc ils sont revenus nous chercher. C'est aussi une question d'expérience. Nous avons des écoles qui forment de bons animateurs sur un plan individuel, des «auteurs», mais ils ne sont guère préparés à un travail de studio. Notre équipe a forgé petit à petit ce savoir-faire.»

© La Libre Belgique 2005

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