La Turquie, entre succès et polémique

Fréquemment, les films turcs font un carton en Belgique, et ce en l'absence de toute promotion classique (cf.encadré). Sorti mercredi dernier dans six salles belges, «La vallée des loups, Irak» suscite à son tour des réactions enthousiastes auprès des spectateurs turcs, comme en témoignent les nombreux messages postés sur des sites comme Cinebel.be.

Hubert Heyrendt
La Turquie, entre succès et polémique
©D.R.

Fréquemment, les films turcs font un carton en Belgique, et ce en l'absence de toute promotion classique (cf.encadré). Sorti mercredi dernier dans six salles belges, «La vallée des loups, Irak» suscite à son tour des réactions enthousiastes auprès des spectateurs turcs, comme en témoignent les nombreux messages postés sur des sites comme Cinebel.be. Pensant que le film pouvait intéresser un public plus large que celui de la stricte communauté turque, suite à la polémique qu'il a suscitée notamment en Allemagne (cf.LLB du 18/02), le distributeur du film organisait hier une vision de presse, désertée par les journalistes...Prenant comme point de départ l'«affaire des sacs», qui avait mis à mal les relations diplomatiques entre Istanbul et Washington, le film est une déclinaison au grand écran d'une série télé très populaire en Turquie. Ce qui frappe, c'est la manière dont le réalisateur Serdar Akar et son scénariste Bahadir Özdener ont réutilisé tous les codes du film d'action hollywoodien. Auprès de son public-cible, l'efficacité est totale. C'est bien là le problème, car cette efficacité se met au service d'un simplisme aux relents douteux.

Inversion des rôles

Que les rôles soient, une fois n'est pas coutume, inversés et que ce soient les Américains qui dégustent n'a, en soi, rien de plus choquant qu'un «Rambo» s'attaquant aux Vietnamiens ou aux Afghans, qu'un «Rocky» mettant K.O. le monstre communiste. Les clichés y étaient tout aussi grossiers. Là où le bât blesse, c'est dans le message subliminal que cache ce divertissement populaire. Lequel multiplie par exemple les discours religieux contradictoires, y compris dans le chef du commandant américain en Irak -interprété par Bill Zane («Titanic»)-, qui semble agir rien moins qu'au nom du Christ. De manière assez complaisante, le film mêle en effet appels à la violence et paroles de paix de l'Islam, condamnant notamment les attentats-suicides. Sans compter un antisémitisme à peine voilé, à travers le seul personnage juif, un médecin de la prison d'Abou Ghraïb dont la seule préoccupation est de recevoir suffisamment de détenus pour alimenter un juteux trafic d'organes...

Flattant les plus bas instincts de ses spectateurs -et notamment l'ultra-nationalisme turc, avec un héros sans peur et sans reproche prêt à mourir pour son pays-, «La vallée des loups» est d'un opportunisme cynique. Troublant le public, il n'hésite pas à insérer, au sein d'une fiction outrancière, une série de faits réels: les humiliations d'Abou Ghraïb, le bombardement américain d'une noce... Son objectif est en tout cas atteint puisque le film a déjà dépassé les 2 millions de spectateurs en Europe, dont 22000 en Belgique après une semaine seulement d'exploitation.

© La Libre Belgique 2006


Un circuit parallèle La sortie de «Kurtlar Vadisi, Irak» («La vallée des loups») est l'occasion de revenir sur l'explosion discrète du cinéma d'exploitation turc en Belgique. Fonctionnant en dehors des circuits de distribution classique (pas de vision de presse, pas de promotion dans la presse nationale...), ces films, complètement inconnus du grand public, font pourtant très souvent d'excellents scores au box-office belge, réalisant régulièrement la meilleure moyenne par écran au moment de leur sortie. Ainsi, «La vallée des loups» se classe-t-il en quatrième position du top 10 bruxellois de la semaine dernière, alors qu'il n'est sorti que dans une salle de la capitale. Derrière ces films, se cache Maxximum, une société turco-allemande en activité dans le secteur depuis deux ans. Après avoir organisé quelques projections au Passage 44 à Bruxelles, sentant que la sauce prenait, le distributeur a décidé de diffuser ses films plus largement en Belgique, à travers le réseau Kinepolis, à Bruxelles, Liège, Anvers, Hasselt et Gand. D'après Ali Bagseven, représentant en Belgique de Maxximum, les salles sont remplies notamment grâce la presse et la télévision turques. «On achète à Ankara des encarts publicitaires dans les journaux turcs diffusés en Belgique et l'on diffuse des spots sur les chaînes turques que l'on capte ici.» Pour le reste, sur le même principe que les concerts de stars turques qui font régulièrement un tabac en Belgique, «on organise des mailings par Internet et des campagnes d'affichage dans les quartiers à forte concentration turque des villes où sortent nos films». Et les résultas sont au rendez-vous! Sorti l'année dernière en Belgique, «Hababam sinifi askerde», comédie signée Ferdi Egilmez, a attiré quelque 42000 spectateurs dans tout le pays. «Ce qui correspond environ à un tiers de la communauté turque de Belgique...» De l'aveu d'Ali Bagseven, les films distribués chez nous par Maxximum, des comédies ou des films d'action le plus souvent, sont uniquement réservés au public familial turc, raison pour laquelle ils ne cherchent pas à élargir l'audience au reste des spectateurs. La société n'envisage d'ailleurs pas de s'occuper des rares films d'auteurs turcs; marché qu'elle laisse aux distributeurs belges...

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