Del Toro sur le chemin de Cocteau, Murnau, Bava
Publié le 21-11-2006 à 00h00
Le Labyrinthe de Pan" fut le dernier film présenté en compétition au dernier festival de Cannes. Les Dardenne vous diront que c'est la meilleure place. Mais, semble-t-il, le jury de cette année avait déjà plié son palmarès avant de découvrir l'oeuvre de Guillermo del Toro.
En effet, la présence en compétition du réalisateur de "Cronos", de "Mimic", de "Blade 2" ou de "Hellboy" pouvait déjà être considérée comme une reconnaissance exceptionnelle. C'est que les cinéastes fantastiques ne sont pas les bienvenus sur la Croisette et forcer les portes de la sélection avec un film d'horreur était déjà, en soi, un exploit.
Il est vrai que ce film fantastique est aussi historique. "Le Labyrinthe de Pan" se situe en 1944 durant la guerre civile espagnole. "Le film se déroule en pleine période franquiste, explique le cinéaste mexicain au cours de sa conférence de presse cannoise, et traite donc du fascisme, de son essence même. Pas de manière directe, mais plutôt de façon transversale, quelque peu codée, car j'aime les films qui donnent à réfléchir. A mes yeux, le fascisme est une représentation de l'horreur ultime et c'est en ce sens un concept idéal pour raconter un conte de fées destiné aux adultes. Car le fascisme est avant tout une forme de perversion de l'innocence et, donc, de l'enfance. C'est d'ailleurs pour cette raison que le véritable "monstre" est le capitaine Vidal (NdlR: Sergi Lopez). Un monstre bien réel comparé à ceux qui évoluent dans le labyrinthe. Le fascisme vous consume à petit feu, pas forcément physiquement mais au moins spirituellement".
Cette idée, Guillermo del Toro l'avait déjà approchée dans "L'Echine du Diable", film fantastique aussi dans lequel il avait déjà traité de l'enfance et de la guerre d'Espagne. "Au départ, ce film faisait partie de "L'Echine du Diable, confirme le réalisateur-scénariste. Puis, j'ai terminé "Hellboy" et j'ai commencé à réécrire cette histoire comme une fable. C'était une histoire très complexe, il fallait que l'équilibre entre l'imaginaire et la réalité soit bien respecté. Ceci me tient particulièrement à coeur.
Parmi tous mes films, c'est "Le Labyrinthe de Pan" que je préfère, après "L'Echine du Diable", parce que le film ressemble exactement à ce que je souhaitais faire. "Le Labyrinthe de Pan" est plus sombre, bien plus complexe et métaphorique que "L'Echine du Diable" qui est un film de genre. "Le Labyrinthe de Pan" est à part: ce n'est pas un film d'horreur même s'il fait appel à des éléments d'horreur et de contes de fées".
Guillermo del Toro n'entend pas pour autant mettre un bémol sur son estime pour le cinéma fantastique auquel il s'est consacré jusqu'à présent. "C'est un genre qui a toujours été opposé aux genres prestigieux. Mais, pour moi, les images les plus marquantes de l'histoire du cinéma viennent du fantastique: "La Belle et la Bête" de Cocteau, "Nosferatu" de Murnau ou "Le Masque du Démon" de Mario Bava sont inoubliables. Mais au moment de la remise des prix, c'est toujours plus difficile de convaincre. Le fantastique est une création qui est plus facilement reconnue dans le domaine de la peinture. Mais quand on passe au cinéma, il est difficile d'accepter que le fantastique puisse donner naissance à un film de qualité."
Guillermo ne cache d'ailleurs pas la qualité de ses sources d'inspiration. "Les couleurs et l'angoisse des tableaux de Goya m'ont servi d'inspiration. Je n'essaye pas de les reproduire dans mon film mais à un moment donné, quand on voit l'homme pâle et les peintures de la salle où il est, cela renvoie au tableau de Goya: Saturne dévorant ses enfants."
L'enfance est d'ailleurs le coeur même du récit. "Ofélia est pour moi le personnage le plus courageux du film. Il faut avoir du courage pour être un enfant, car on vous dit toujours ce qu'il faut faire et ce qu'il faut penser. Elle part dans ce monde fantastique pour faire face à ce monde réel, et non pour le fuir."