L'heure révolutionnaire

Dans une petite ville à l'est de Bucarest, un débat télévisé interactif pose une question fondamentale : la révolution roumaine s'est-elle arrêtée à 12 h 08, le 22 décembre 1989 ? Avec un mélange d'absurde et d'autodérision, le jeune réalisateur Corneliu Porumboiu impose un dispositif, dont il tire, en virtuose, beaucoup d'effets comiques mais aussi un commentaire subtil sur la Roumanie d'aujourd'hui. Caméra d'or à Cannes en mai dernier. 1 h 29.

Fernand Denis
L'heure révolutionnaire
©D.R.

Décidément, à Cannes, tout réussit aux frères Dardenne. Ils n'étaient pas en compétition lors de l'édition 2006, mais ils présidaient le jury de la Caméra d'or. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils ont bien travaillé en isolant parmi les 29 premiers films, toutes sections confondues, ce "12:08, East of Bucarest", une authentique pépite d'or cinématographique, et la promesse d'un formidable talent, en matière de comédie intelligente, incarné par ce jeune metteur en scène roumain Corneliu Porumboiu.

LE 22 DÉCEMBRE 89

Couché sur le divan, un homme se réveille avec une terrible gueule de bois. Sa femme ne s'énerve plus : soit il ramène son salaire, soit il dormira dehors. Or, on est en décembre, le 22, et il y a 16 ans, c'était la révolution en Roumanie.

Toujours à la recherche d'un sujet pour son émission interactive de l'après-midi, le journaliste-directeur-présentateur de la chaîne locale a l'idée d'organiser un débat interactif avec les téléspectateurs sur le thème de cette journée historique. Notre professeur un peu poivrot est l'un des invités d'autant plus précieux qu'il affirme avoir pris une part active au soulèvement, dans cette petite cité à l'est de Bucarest, en osant manifester sur la place avant la fuite de Ceaucescu. A ce propos, le journaliste-directeur-régisseur-réalisateur mène un interrogatoire serré, car il s'agit de savoir de façon précise s'il était sur la place avant ou après 12h08, avant ou après la fuite des Ceaucescu. Avant, c'était un acte héroïque. Après, c'était une participation à un happening festif.

L'ART DE LA MALADRESSE

Corneliu Porumboiu tient cette question pendant près d'une heure avec une époustouflante virtuosité... dans la maladresse. Il faut voir la drôlerie qu'il extrait de ce minuscule studio, de cet endroit absolument infilmable. En effet, il est tellement exigu que les trois personnes sont assises côte à côte à une table. Et il en tire des effets comiques inouïs. Quant au débat absurde en apparence - il y a du Ionesco dans l'air -, il révèle indirectement et subtilement quantité d'informations. Ainsi, on peut penser que beaucoup de choses ont changé en Roumanie, mais tout semble toujours aussi glauque et déglingué et ce sont les mêmes qui ont gardé le pouvoir.

Toutefois, la politique, l'économie, ce n'est pas tout dans la vie. Ainsi, l'autre témoin invité au débat, et qui passe le plus clair de son temps à plier des cocottes, se souvient mieux d'événements anodins mais personnels que de ce qu'il faisait avant 12 h 08.

C'est que le film n'a finalement rien d'idéologique, il est foncièrement humain, et les acteurs y sont stupéfiants, notamment ce vieux comédien irrésistible (Mircea Andreescu) qui pourrait passer pour le père de Robin Williams.

Comme quoi, il n'est pas nécessaire d'avoir des moyens importants pour réussir un film formidable quand on a du talent. Mais s'il s'agit d'un petit film, il faut le voir sur un grand écran, car c'est un tel bonheur de rire ensemble d'un humour de cette qualité-là.

Et puis, "Profitez de la neige aujourd'hui, demain, ce sera de la boue", dit, en conclusion, Corneliu Porumboiu, un nom à retenir dès à présent.


Réalisation, scénario : Corneliu Porumboiu. Image : Marius Panduru. Décors : Daniel Raduta. Musique : Rotaria. Montage : Roxana Szel. Avec Mircea Andreescu, Teo Corban, Ion Sapdaru... 1 h 29.

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