Intrigues de palais à la Cité interdite
Après "Hero" et le fabuleux "Secret des poignards volants", Zhang Yimou continue d'époustoufler avec ce troisième opus de sa relecture du film de sabres chinois. Située dans la Cité interdite, sa tragédie classique n'est qu'un support pour développer une mise en scène pure, délestée de toute contingence réaliste : combats chorégraphiés, couleurs splendides, décors fastueux. Un moment de pure magie servi par Chow Yun-Fat et une Gong Li impériale. 1 h 54. Le film raconté par Valérie Moncousin
Publié le 10-04-2007 à 00h00
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Si c'est Ang Lee qui avait relancé, en tout cas en Occident, la vague du film de sabres avec "Tigre et dragon", le Chinois Zhang Yimou lui a emboîté le pas avec une autant de réussite. Faisant pénétrer le cinéma chinois dans une ère nouvelle, plus commerciale, il le fait en s'inscrivant dans une grande tradition cinématographique et en s'inspirant de l'histoire et des légendes de la Chine éternelle.
Si "Hero" s'intéressait au sort du roi de Qin et à sa volonté de conquête de la Chine il y a 2000 ans, "Le secret des poignards volants" contait la lutte d'une secte contre la dynastie Tang au XIe siècle. Une dynastie que l'on retrouve un siècle plus tard dans ce troisième opus. Dès les premières images, Yimou nous plonge dans un autre monde, totalement irréel, fait de luxe et d'apparat, filmant la toilette et la séance d'habillage de l'impératrice Phoenix. Laquelle attend le retour à la Cité interdite, après de nombreuses années, de son mari, l'empereur Ping. Mais, à ce niveau de pouvoir, la famille n'est plus un refuge et les complots incessants, les conspirations de l'ombre alourdissent les retrouvailles. Chacun semble en effet vouloir prendre la tête du plus grand empire au monde...
De sang et d'or
Avec "The Curse of the Golden Flower", Zhang Yimou livre rien moins qu'une relecture époustouflante de la tragédie classique. Ainsi, si elle est truffée de sous-intrigues annexes, esquissées avec un talent insolent, l'histoire proposée ici est, malgré sa complexité, d'une simplicité exemplaire. C'est celle d'une famille qui se recompose, se déchire... Cette tragédie au souffle shakespearien offre au cinéaste une sorte de squelette sur lequel il peut greffer l'ensemble de ses préoccupations esthétiques...
Car c'est uniquement cela qui préoccupe Zhang Yimou, la mise en scène pure, soulagée de toute contingence de réalisme. Il y a quelques années, le cinéaste s'était essayé à la mise en scène d'opéra, présentant à Florence en 1997 puis à Pékin l'année suivante, au coeur de la Cité interdite, sa version du "Turando" de Puccini. On sent que cette expérience a été capitale pour lui. Plus que cinématographique, "The Curse of the Golden Flower" se présente en effet comme un véritable opéra baroque, aux décors fastueux, aux milliers de figurants, aux combats chorégraphiés comme des balets mais, surtout, aux couleurs époustouflantes. Depuis "Hero", Yimou a fait évoluer son code couleur vers plus de finesse. Pour ce huis clos, il opte pour la cohabitation de l'or (des robes de phoenix de l'impératrice notamment) et du rouge, celui du sang qui coulera bientôt. Sang et or, deux couleurs indissociables pour le cinéaste, qui semble sous-entendre que pouvoir et luttes intestines sont irrémédiablement liés, illustrant le vieux proverbe chinois qu'il met en exergue de son film : "Or et jade à l'extérieur, pourriture et décadence à l'intérieur."
Personnage central du cinéma chinois contemporain suite à sa "réhabilitation" par les autorités en 1992, Zhang Yimou peut aujourd'hui tourner avec toutes les stars de son pays. Après Maggie Cheung et Jet Li dans "Hero", Zhang Ziyi et Andy Law dans "Le secret des poignards volants", on retrouve ici Chow Yun-Fat en vieux souverain prêt à toutes les trahisons pour garder le pouvoir, mais surtout la somptueuse Gong Li. La muse du réalisateur, celle qu'il avait révélée en 1987 dans "Le sorgho rouge", premier film d'une longue série du tandem ("Epouses et concubines", "Qiu Ju une femme chinoise"...). Impériale, elle règne sur cette "Cité interdite", digne et déchirante...
Scénario & réalisation : Zhang Yimou (d'après la pièce de Cao Yu). Production : William Kong, Zhang Weiping & Zhang Yimou. Photographie : Zhao Xiaoding. Musique : Shigeru Umebayashi. Décors : Huo Tingxiao. Costumes : Yee Chung Man. Avec Chow Yun-Fat, Gong Li, Liu Ye... 1 h 54.