Le regard qui tue
Il n’y a pas que les armes qui tuent. Les mots aussi parfois. Même un regard peut tuer. "Un secret", c’est l’histoire d’un regard qui tue. François Grimbert ne se sent pas un petit garçon comme les autres. Il est fort en tout, sauf en gym. C’est pas grave, lui dit son oncle, ça ne sert à rien la gym.
Publié le 08-10-2007 à 00h00
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Il n’y a pas que les armes qui tuent. Les mots aussi parfois. Même un regard peut tuer. “Un secret”, c’est l’histoire d’un regard qui tue. François Grimbert ne se sent pas un petit garçon comme les autres. Il est fort en tout, sauf en gym. C’est pas grave, lui dit son oncle, ça ne sert à rien la gym. Mais quand papa est un gymnaste professionnel et maman une championne du plongeon, il y a de la déception dans l’air.
A tel point que François s’est imaginé un frère fantôme, un vrai crack des barres parallèles et de la natation. Mais évidemment, quand François veut qu’on serve d’abord son “frère” à table, son père n’a pas besoin de cordes pour grimper au plafond.
Perturbé psychologiquement, François ? Ce n’est pas cette piste que le film entend suivre; François s’en sortira, il deviendra même thérapeute, s’intéressera à ces enfants cabossés comme lui, enfermés à l’intérieur d’eux-mêmes comme il le fut, avant d’en sortir, avant de remonter dans le passé. Questions embarrassantes
On naît avec les yeux de maman, le menton de papa, mais dans cet ADN s’inscrit aussi la mémoire d’une famille, le secret des parents. Et chez les Grimbert, le placard est plombé comme un cercueil. Déposé six pieds sous terre. Sans aucune inscription. Les noms sont tabous, on n’en parle pas, ils n’existent plus. Ou alors à l’état de fantômes dans cet immeuble. Au point de s’installer à table, à côté du petit François qui a senti sa présence, en toute innocence, à force de respirer cette ambiance plombée à en être malade, dérangé. C’est la culpabilité qui est dans l’air, celle d’un regard qui a croisé l’Histoire avec le grand H de Horreur ou de Holocauste.
Le secret, on ne va pas en priver le spectateur. Mais on peut toutefois lui dire, que si le film met en scène la traque des juifs en France durant la Deuxième Guerre Mondiale, il se distingue des nombreux films sur le sujet, par son angle, celui d’une passion, et aussi par sa question : les juifs n’ont-ils pas été victimes de leur orgueil ? “Y a-t-il une raison pour laquelle, on doit être fier d’être juif ?” C’est une question difficile à poser et Claude Miller a mis des années à le faire. Des années durant lesquelles, il a occulté sa judaïté dans sa filmographie, Ici, encore, il s’interroge sur les tréfonds de l’âme humaine, avec les moyens qui le passionnent.
Il en ressort un film très pudique, très sensible, très ambigu, très polémique même à l’intérieur d’une communauté. Mais si la guerre rend la situation d’autant plus tragique, les enjeux ne sont pas historiques. L’histoire donne un coup d’accélérateur et la passion n’a pas cessé d’exister entre 40 et 45.
D’ailleurs, la reconstitution ne passionne pas outre mesure le réalisateur de “Mortelle randonnée”, qui s’attache surtout à ses personnages. Une fois de plus, Cécile de France est éblouissante dans le rôle d’une nageuse pleine d’élégance, dans le rôle d’une mère aussi d’un enfant de 10 ans. Patrick Bruel a exactement le regard qui tue. Quant à Julie Depardieu, elle réhabilite un patronyme tombé bien bas avec un mélange de gouaille et de classe qui rappelle Arletty.
Conté avec talent, mis en perspective avec intelligence, posant des questions inattendues, ce “Secret” mérite d’être connu.
Scénario & réalisation : Claude Miller (d’après le roman de Philippe Grimbert). Image : Gérard de Battista. Décors : J.-P. Kohut-Svelko. Costumes : J. Bouchard. Montage : V. Lange. Musique : Zbigniew Preisner. Production : Yves Marmion. Avec Cécile de France, Patrick Bruel, Julie Depardieu, Mathieu Amalric… 1 h 40.