Documentaire Klaus Barbie, le bourreau nazi devenu espion américain où la fin justifie-t-elle les moyens ?

F. Ds

Un documentaire de Kevin Macdonald. Production : Rita Dagher. 1 h 30

Mon meilleur ennemi" est une malheureuse traduction du titre original de ce documentaire de Kevin Macdonald, "My Enemy's Enemy", soit "L'ennemi de mon ennemi". Et l'ennemi de mon ennemi, c'est mon ami ! Car moins par moins donne plus. Mais l'homme peut-il être réduit à cette formule mathématique ?

C'est la question posée par ce documentaire à partir du cas de Klaus Barbie, cet officier de la Gestapo dont le zèle lui a valu le surnom de "Boucher de Lyon".

Réalisateur de documentaires mais aussi de fictions - son dernier film "The Last King of Scotland" fut récompensé par un Oscar décerné à son interprète Forest Whitaker -, Kevin Macdonald reconstitue la vie ou plutôt les trois vies de cet officier allemand.

Les trois vies de Barbie

La première, la période nazie. C'est avec conviction et enthousiasme que le petit Klaus rejoint très tôt les jeunesses hitlériennes. Déjà, il témoigne d'une passion pour le "renseignement", en devenant l'espion de sa troupe. En 42, il est à Lyon avec pour mission de décapiter la résistance française. Il va y montrer toute son efficacité grâce à sa spécialité : l'interrogatoire. C'est par cette voie qu'il atteindra la tête de l'organisation et "exécutera" lui-même Jean Moulin.

Ces années étant les plus connues de Barbie, à cause de son procès en 87 et des films dont "Hôtel Terminus" d'Ophuls ou "L'avocat de la terreur" de Schroeder, Kevin Macdonald les survole pour s'intéresser aux deux autres vies du criminel.

La deuxième vie de Barbie est américaine. Il est recruté par le CIC, le contre-espionnage US qui, au lendemain de la guerre, recycle à tour de bras les cadres nazis pour organiser la lutte contre le communisme en Europe. Il va ainsi oeuvrer à la mise en place d'un réseau paramilitaire susceptible de contrer une invasion soviétique. Et, en attendant les chars russes, on s'emploie à nuire aux partis de gauche, à torpiller les syndicats, à manipuler les groupes d'extrême gauche, à installer un incroyable réseau de caches d'armes. Mais la France ne pardonne pas à Barbie d'avoir torturé à mort Jean Moulin et exerce une pression permanente sur les Etats-Unis pour le juger. Trop encombrant, les Américains lâchent Barbie début des années 50, sans toutefois le livrer à la justice mais en le confiant au Vatican, cette organisation qui se charge d'évacuer les criminels nazis vers l'Amérique latine.

La troisième vie de Barbie est bolivienne, sous le nom de Klaus Altman, c'est dire sa perversité. Après s'être fait oublier un temps dans le commerce, Barbie s'infiltre dans l'appareil militaire bolivien et devient un conseiller très écouté. Et pour cause, il sait obtenir des informations. Longuement expérimentées, ses techniques de torture sont très performantes bien que peu raffinées. Son "know-how" lui vaut d'être un consultant très apprécié des généraux locaux. Le contact est rétabli avec les Américains lorsqu'il joue un rôle déterminant, semble-t-il, dans l'assassinat en Bolivie de leur insaisissable ennemi n°1 : Che Guevara. Désormais, il voit la possibilité de réaliser son rêve : un IVe Reich dans les Andes. Mais un gouvernement démocratique le renverra en France.

Répéter les mêmes erreurs

Au-delà d'un documentaire plus palpitant qu'une fiction - c'est que les documents sont nombreux, incroyables et authentiques -, il est surprenant d'être confronté au visage paisible d'un monstre qui se barricade perpétuellement dans le déni de ses propres horreurs.

Au-delà de la trajectoire personnelle d'un bourreau, c'est toute une politique - de l'ombre - qui se trouve ainsi éclairée de façon lumineuse. Barbie n'est qu'un rouage dans une stratégie de défense, un pion apte au combat contre l'ennemi communiste. Kevin Macdonald montre que l'emploi, au nom de la démocratie, d'individus viscéralement anti-démocratiques corrompt le combat. En soutenant Barbie et les autres nazis, les USA ont permis le développement à grande échelle du commerce de la drogue. Inlassablement, les Américains répéteront les mêmes erreurs au Vietnam et en Afghanistan, où leurs alliés contre les Soviétiques étaient les talibans. Et aujourd'hui en Irak ?

"My Enemy's Enemy" est un film réellement passionnant, dans sa double dimension, le portrait d'un monstre, et l'analyse implacable d'une politique secrète qui, en dépit de sa faillite, ressuscite à chaque génération.

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