Todd Haynes, l’envie et les vies de Dylan
C’est un Todd Haynes visiblement soulagé qui présentait, au dernier festival de Venise, “I’m not there”, un film “inspiré par les chansons et les vies de Bob Dylan”. Ne manquez pas La Libre Culture de ce mercredi dans votre journal. Commentaire par Alain Lorfèvre
- Publié le 17-12-2007 à 00h00
:focal(99x81:109x71)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/WRVZOIKAIZGDLKFB5TCCOZQRRI.jpg)
C’est un Todd Haynes visiblement soulagé qui présentait, au dernier festival de Venise, “I’m not there”, un film “inspiré par les chansons et les vies de Bob Dylan”. Pas un sage biopic donc, allant de l’enfance à la rédemption, avec détour imposé par les cases success, sex & drugs de toute star qui se respecte, mais une vision libre et éclatée de l’une des figures les plus marquantes de la scène musicale du XXe siècle, tour à tour troubadour folk, poète de la beat generation, rebelle rock, prophète messianique et neverending showman. Vision payante qui a décroché le prix du jury à Venise.
C’est le troisième film que vous consacrez à la musique du XXe siècle, après “Superstar” et “Velvet Goldmine”. Qu’est-ce qui vous fascine à ce point ?
"La musique pour moi, particulièrement la musique populaire, véhicule quelque chose de puissant. Il y a une dimension à la fois émotionnelle et nostalgique. Cela nous renvoie à énormément de choses, et elle nous rassemble aussi, d’une certaine manière : tout le monde a entendu des chansons de Dylan ou de Bowie. Seul le cinéma transcende de la même manière les barrières de langues, de nationalités, de classes sociales. Par ailleurs, ce sont aussi les seules créations qui relèvent à la fois de l’art et de l’industrie, avec des enjeux financiers énormes. C’est d’ailleurs un paradoxe qu’une expression culturelle aussi radicale que le rock génère des profits aussi vertigineux."
Comment s’est imposée l’idée de cette structure éclatée et d’utiliser différents acteurs pour interpréter Dylan ?
"La plupart du temps, mes idées ne sont pas réfléchies. Cela relève de l’instinct et de l’intuition. Dans ce cas-ci, cela a surgi assez simplement en relevant les métamorphoses permanentes de Dylan. Dans les années 60, il pouvait changer du tout au tout en deux mois, aussi bien physiquement que vocalement. C’est un élément qui surprenait ceux qui le rencontraient. Cette caractéristique s’appliquait aussi à ses propres chansons : il pouvait réinterpréter la même chanson d’une façon totalement différente, au point que même ses fans ne la reconnaissaient pas."
Ce parti pris reflète le principe même de la création en général.
"On interroge trop peu la forme dans le cinéma, aujourd’hui. C’est comme si tous les sujets devaient adopter toujours la même structure narrative. Prenons simplement les artistes musicaux : pourquoi un film sur Johnny Cash a-t-il la même structure qu’un film sur Ray Charles, alors que leur vie et leur style sont radicalement différents ? Face à un artiste qui a à ce point influencé l’évolution musicale, c’est une opportunité exceptionnelle d’essayer de trouver une forme qui corresponde à sa démarche. Il a fait exploser les genres."
Est-ce que l’écriture relève aussi d’un processus instinctif dans ce cas – jusqu’au montage, par exemple –, ou avez-vous repris à plusieurs reprises le scénario ?
"Il y a des deux. C’était très excitant de faire les recherches et de compiler tous les éléments, pas seulement ceux relatifs à la vie et au travail de Dylan, mais aussi tout le contexte environnant qui a clairement inspiré son œuvre. C’était comme avoir toute une série de petits récipients dans chacun desquels il fallait veiller à placer les ingrédients adéquats. Je me suis constitué toute une série de dossiers, par thème et par période. Ensuite, j’en suis arrivé à cette envie de créer une sorte de dialogue entre les différents Dylan."
Etait-il fondamental que chaque acteur puisse chanter ?
"Ce n’était pas une contrainte. J’étais simplement ouvert à la possibilité de leur donner cette opportunité. Nous les avons enregistrés afin de voir s’ils se sentaient suffisamment à l’aise pour le faire. Cate était réticente parce qu’elle estimait qu’elle avait déjà un énorme travail de composition à fournir. Christian Bale, par contre, a tenu à chanter. Comme il avait un agenda très chargé, nous avons enregistré ses partitions bien avant, ce qui a mis la barre très haut pour les autres : il est vraiment excellent. Seul Marcus Carl Franklin, le jeune Woody, le surclasse."
Comment avez-vous sélectionné les chansons ?
"Le choix s’est fait sur base d’une combinaison de différents éléments. Je voulais que les chansons et sa parole fassent le lien entre les différents personnages. L’autre condition était que ces chansons puissent être reprises par les différents acteurs. Je voulais, enfin, éviter l’effet “bande originale de film”. C’est la raison pour laquelle j’ai écarté certaines chansons que j’aimais beaucoup, mais qui étaient trop marquées. Donc, le résultat n’est pas mon best of."